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19 août 2012 7 19 /08 /août /2012 22:00

 

 

 

Laurence anyways

 

Film de Xavier Dolan

 

Avec Melvil Poupaud, Suzanne Clément, Nathalie Baye, Monia Chokri

 

 

 23 ans seulement, et déjà son troisième film. Avec "Laurence anyways", le jeune cinéaste canadien Xavier Dolan, au dire de la plupart des critiques, opère un bond considérable dans son cinéma, tout en restant au centre de la conception de ses films (ici, réalisateur, scénariste, monteur, costumier). Cette démiurgie - tout autant qu'autarcie - est propre à susciter à la fois de l'admiration comme de la suspicion.

 

 Pour corroborer cette vision "nombriliste", il suffit de prendre l'un des éléments les plus visibles du film : les costumes, afin d'en détacher un paradoxe : le film circonscrit son espace fictionnel au cœur des années 90, mais les vêtements portés par exemple par Melvil Poupaud, sont loin de refléter la tendance de l'époque. Les détracteurs diraient : c'est simplement irréaliste, révélant une lubie de l'auteur. Les tenants de la liberté du créateur l'assimileront à une libération de l'imaginaire, comparant ces grandes capes à celles des personnages des westerns de Sergio Leone.

 

 Dans "Laurence anyways", l'artifice côtoie ainsi la profondeur, le rire s'adosse aux larmes, et le spectateur doit tracer son chemin dans la forêt de signes proposés. Des scènes comme celles des chutes (pluie tombant sur Fred, amas de vêtements sur le couple réuni à l'Ile au Noir) ont autant de force dans leur valeur expressive, poético-visuelle, qu'elles surgissent dans un rythme inhérent au clip vidéo. Pas de doute que c'est dans la fougue de la jeunesse, au mépris de toute grammaire cinématographique que le film de Xavier Dolan puise. Quel cinéaste en effet oserait ces nombreux ralentis, symboles de mauvais goût dans bien d'autres films ?

 

 La qualité de "Laurence anyways" repose en fait beaucoup sur ses articulations paradoxales : partir d'une matière mélodramatique éprouvée pour lui insuffler un vent de nouveauté ; empiler une masse d'éléments hétérogènes pour les jeter dans le feu d'une subversion baroque. Cette profusion assoit l'originalité du film comme elle casse aussi parfois sa dramaturgie. Il règne une tension permanente entre la volonté de prendre à bras le corps un sujet romanesque et la tentation d'enrober le tout dans une invention visuelle constante.

 

 Dans ce maelström d'émotions et d'images, ce sont les comédiens qui assurent la suture. Le film pourrait très vite tourner à l’esbroufe sans cette matière humaine qui la fait avancer. Si Melvil Poupaud détonne dans la peau d'un transsexuel, trouvant là sans doute son meilleur rôle, Suzanne Clément accomplit également une belle performance d'actrice. Il faut voir, au fil des affects dans lesquels elle se glisse, les différentes empreintes de son visage, les strates successives révélatrices de l'évolution d'un personnage.

 

 Il faut dire aussi que la qualité des comédiens est rendue par une attention soutenue dans la manière de les filmer : au plus près. Paradoxe encore pour un film attaché à représenter la surface, au risque de la superficialité. Xavier Dolan sait ainsi passer avec maestria de l'intime au général, de la profusion baroque valorisant l'espace à la vibration étouffante de cadrages serrés. Il arrive même, dans une étrange scène (Fred sortant de son bain), à fusionner attention au cadre (long couloir improbable d'un appartement) et restitution pudique d'une douleur intime (Fred est filmée de loin, sa douleur pudiquement mise à distance). Nathalie Baye surprend encore dans le rôle de la mère de Laurence, mélange de dureté et de compassion rentrée.

 

 On ne souhaite même pas à Xavier Dolan de domestiquer, dans un futur proche, le savoir-faire dont il fait preuve dans "Laurence anyways". De cet univers composite, nous sommes appelés à y piocher ce qui nous convient. Mais il est stimulant d'être le spectateur d'un film tel que celui-ci, ouvert à tous les vents, révélateur d'un caractère foisonnant.

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