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11 juillet 2013 4 11 /07 /juillet /2013 21:14

 

 

L'Inconnu du lac : Photo Pierre Deladonchamps

 

 

L'inconnu du lac

 

Film d'Alain Guiraudie

 

Avec Pierre Deladonchamps, Christophe Paou, Patrick Dassumçao, Jérôme Chappatte

 

 

 Avec une volonté de singulariser l'originalité de "L'inconnu du lac", on serait tenté de l'inscrire dans le registre des films définis comme des "huis-clos en pleine nature". Tenté par le caractère foncièrement paradoxal de cette approche - mais qui en révèle aussi sa richesse -, tout en courant le risque de réduire le film à un binôme huis-clos/nature.

 

 Car la force du film de Guiraudie réside avant tout dans une circulation entre différentes strates, au centre desquelles se trouve la circonscription spatiale. Certes, il y a, pour les protagonistes du lac, comme une volonté de marquer le lieu d'une empreinte singulière, au point de vouloir l'imprégner d'une aura mythologique (une bête genre monstre du Loch Ness qui régnerait dans l'eau). En somme, on cherche à faire du décor naturel le lieu propice à l'expansion de ses désirs singuliers. S'il y a au fond huis-clos dans le film, il ne vise qu'à donner au désir immédiat sa pleine possibilité d'expression, dans la crudité la plus totale.

 

 Il règne ainsi dans le film une tension palpable entre isolation spatiale et ouverture vers l'extérieur, entre les déplacements (rendez-vous dans les broussailles) et la fixité des personnages, (corps affalés, nus, comme des natures mortes sur la plage). Sur ce dernier aspect, Guiraudie a inscrit une démarche loufoque qui donne une particularité pittoresque au lieu, en opposition à son utopie mythologique : des hommes qui arrivent sur une plage, se mettent nus, et enfilent leur tennis pour aller à l'eau, préservant ainsi leur pied de quelque meurtrissure liée aux cailloux.

 

 Mais avant d'être un film où le corps est présent jusque dans des scènes de sexe explicites, "L'inconnu du lac" s'organise autour de la parole. Dès l'entame, on s'étonne de la manière dont les dialogues rebondissent d'un personnage à l'autre, culminant entre Franck et Henri. Il y a du Rohmer dans ce flux de paroles qui fusent comme des balles de ping-pong. Quand, parlant de son désir pour Michel, Franck dit : "A chaque fois qu'un homme me plaît, il faut toujours qu'il soit avec quelqu'un d'autre", on croirait la phrase extraite d'un film du cinéaste de la nouvelle vague.

 

 "L'inconnu du lac" est un film qui, du haut d'un espace défini où s'épanchent les désirs immédiats, table sur une visibilité maximale. Tout se voit, tout se sait, jusqu'au point où un amant tente vainement de s'isoler avec un autre en tentant de redéfinir son territoire amoureux. Pour autant, cette visibilité n'empêche pas une cécité extrême, glaçante au bout du compte : un corps disparaît et aucun nageur ne l'a repéré ; sa voiture reste seule à la tombée de la nuit, sans que cela n'appelle aucune interrogation - il y a là une force dans ces plans évidés qui ponctuent certaines séquences.

 

 Autre paradoxe, représenté par Henri, l'un des personnages les plus décalés du film, avec l’inspecteur. Présence impromptue, en somme, en marge, tout en étant très marquée, comme si sa volontaire mise à l'écart renforçait sa position d'observateur isolé dans une tour - le vrai voyeur dans le film, qui se masturbe devant les autres, arrive à prendre pied dans l'action. En définissant sans ambiguïté son statut "normalisé" (a vécu avec une femme, vient sur la plage au départ à la recherche d'une rencontre féminine), Henri marque sa différence, tout en étant au cœur de la fiction. Personnage quasi théorique, plaque de résonance digne d'un chœur antique, son vrai déplacement -  dans une scène impressionnante où, tel un personnage sorti d'un brouillard léonien, il marche vers Michel - l'inscrit immédiatement dans une dimension tragique.

 

 A côté de cette exploitation des corps sans fard, de cette approche crue des relations homosexuelles, le film de Guiraudie se pare d'une réelle beauté plastique. S'il est également un film de paroles, l'exploitation du décor, cette circonscription d'un lieu, est rendue avec une attention accrue. Cela fait longtemps qu'on n'a pas vu, dans le cinéma français, des séquences où on a cette sensation forte d'un écoulement : des corps traçant des lignes dans un lac, passage d'une lumière scintillante dans l'onde, mais surtout, cette superbe arrivée de la nuit, mêlée à son rendu mystérieux, articulée à son potentiel tragique. Voir Franck attendre la tombée de la nuit pour éviter de se faire repérer ajoute une densité impressionnante à ce sens du passage, que Guiraudie exploite encore lorsque la voiture de la victime est vue seule lorsque tout le monde est parti. Dans cette esthétique où la sensibilité d'un lieu s'adosse aux vibrations les plus infimes du temps, on se croirait chez les Straub (ceux de "Moise et Aaron" et "La mort d'Empédocle").

 

 Il faut évidemment saluer la performance des comédiens, en particulier Pierre Deladonchamps et Christophe Paou. L'un, dans un registre fin et sensible - qui l'inscrirait avec aisance dans un univers rohmerien - et l'autre, jouant de sa puissance de séduction, arrivent à mêler leur différence pour faire de "L'inconnu du lac" un beau film sur la passion amoureuse.

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