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8 mai 2014 4 08 /05 /mai /2014 21:07

 

 

 

 

SHE

 

Par Rihoko Sato

 

Direction artistique : Saburo Teshigawara

 

 

 On donnerait ici facilement à Saburo Teshigawara la palme du danseur le plus vif de l'histoire, en souvenir de certaines de ses performances à la Maison des Arts de Créteil. Sa vitesse d'exécution, l'énergie folle déployée dans ses solos ont longtemps sidéré. C'est ainsi qu'assister à "SHE", dansée par Rihoko Sato, prend une valeur particulière.

 

 Intégrée à la compagnie Karas depuis 1996, Rihoko Sato est à même de prendre pied dans l'univers si exigeant physiquement de Saburo Teshigawara. Pourtant, "SHE" ne plonge pas immédiatement le spectateur dans le mouvement inaltérable de la danse, puisque la pièce commence par une vidéo projetée au fond de la salle. On y voit Rihoko Sato dans des paysages extérieurs, perchée sur des rochers, la nuit. Rien de contemplatif, là dedans, puisque la suite de la projection la montre gambadant sur une colline. Mélange d'ivresse liée à la plénitude d'accomplissement dansé d'un corps dans l'espace, et d'un sentiment de débordement qui transforme le saut en danse, les spirales en perte de contrôle.

 

 Et quand Rihoko Sato apparaît sur scène, lentement, son image sur l'écran s'évanouit au loin. L'affirmation de la présence corporelle va pouvoir commencer. Danseuse au physique assez frêle, Rihoko Sato déploie sur scène ces motifs si particuliers à l'univers chorégraphique de Teshigawara où la rapidité d'exécution (des jambes et des pieds, des bras) fait alterner maîtrise technique impressionnante et sensation de perte de cette maîtrise (la tête prise dans des mouvements comme destinés à assouplir cette énergie). On dirait qu'en même temps que la vitesse prend le pas sur tout, une dérégulation du corps en assure la part d'immaîtrisable.   

 

 La danse de Saburo Teshigawara, en cela, est très éloignée du butō, danse des tréfonds et des profondeurs, dont l'une des visées est de vouloir extirper, à force de lenteur attentive, les forces de l'invisible. La métaphysique qui l'anime le fait aussi bien plonger dans des schémas autour de la naissance que dans des projections sur une vision du monde (c'est la danse post-apocalyptique par excellence). Chez Teshigawara, avec la dynamique effrénée de sa chorégraphie, l'inscription du corps vers l'extérieur est telle qu'un certain nombre de paramètres viennent renforcer sa présence. Teshigawara les met lui-même en œuvre, dans une sophistication savante : on joue ainsi avec la lumière (elle modèle le corps de Rihoko Sato, jusqu'à ce que celle-ci, à l'avant scène, se mette à sculpter de ses mains la lumière d'un projecteur) tout autant qu'on tourne autour du montré-caché (elle disparaît derrière un rideau et réapparaît à plusieurs reprises.

 

La vidéo en soi révélait cela : une puissance à être là, une joie du "manifesté", une exaltation à figurer dans la vibration du monde, faite de lumière et d'ombre. Chez Teshigawara, c'est tout ou rien (tout et rien) : la vitesse, qu'on croit inaltérable, débouche sur une immobilisation ; la musique de Debussy ("Prélude à l'après-midi d'un faune") sur la vidéo, modèle de délicatesse feutrée, puis à la fin, l'ampleur diaphane et suavement répétitive de celle du "Mépris" de Godard, tout cela en encadre une autre, plus tonitruante. Une masse sonore amplifiée qui nous dit qu'en soi, bien souvent, la valeur musicale est liée non à son développement, mais à la pure émission d'un son, triturée à l'envie. Dans la précipitation qui guette même les mouvements les plus retenus, c'est tout l'appétit de l'expression corporelle qui surgit, et Rihoko Sato est le flambeau lumineux qui nous invite à ce passage.

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