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23 novembre 2015 1 23 /11 /novembre /2015 11:06

 

 

 

Junko Ueda, Satsuma Biwa et chant

 

Chants de l'épopée des Heike

 

 

 C'est l'un des plus beaux instruments traditionnels japonais, qui plus est sous une forme spécifique (Satsuma, renvoyant à sa localisation régionale), mais on a rarement l'occasion de le voir à Paris. Le concert à la Maison des Cultures du Monde était d'autant plus précieux qu'il présentait l'une de ses plus illustres représentantes, Junko Ueda, élève de Kinshi Tsuruta, grande réformatrice de la pratique de cet instrument, qui lui rajouta notamment une cinquième corde.

 

 Dérivé du luth pipa chinois, le Biwa est néanmoins l'un des plus confidentiels, l'un des plus emblématiques instruments japonais, dédié essentiellement à la narration chantée de l'épopée des Heike. L’entrée en scène de Junko Ueda, feutrée, souriante, s'accordait à la dimension secrète de cet instrument. Vêtue d'un kimono orange, en s'installant au sol, les jambes repliées, l'atmosphère s'est subitement teintée d'une aura méditative, après la longue présentation du concert par Pierre Bois.

 

 Posé verticalement au niveau des genoux, le biwa est joué avec un plectre, à la taille impressionnante, évoquant à première vue une truelle, mais qu'on préfère rapprocher d'un éventail. C'est munie de cet outil que la joueuse va livrer des variations souvent surprenantes, mais qui marquent pourtant l’essence de cet instrument : attaque assez sèche des cordes, utilisation des différentes zones pour en exploiter le côté percussif, et surtout, de temps en temps, des glissandi effectués avec la partie large du plectre, produisant des crissements très expressifs. C'est que cette palette sonore, au fond moins mélodique que basée sur une expressivité orientée, vise à illustrer cette épopée célèbre, qui relate l'ascension et la chute du clan des Heike au XIIème siècle, dans le Japon médiéval.

 

 Il existe une véritable scission entre cet instrument, chargé d’illustrer les éléments de la nature, comme certains points dramatiques de l'épopée, et la voix qui l'accompagne. Celle de Junko Ueda, qui narre l'histoire, judicieusement sur-titrée, participe amplement de l’envoûtement suscité par cette forme rare. Grave, d'une profondeur qui semble aller chercher au fond des âges quelques figures fantomatiques, elle emmène le spectateur vers cet état d'intériorité qui confine au recueillement.

 

 Cette forme de chant, en plus de porter un récit, puise sa force dans le shomyo, chant bouddhique basé sur la déclamation. Le chant de Junko Ueda, dans sa lenteur suspensive, arrive à créer des effets particuliers dans la narration, et arrive à nous faire sentir, en un passage, la force d'un drame qui se noue dans une bataille sur mer : "Tu étais né pour diriger le monde, mais voici, ton destin s'achève ici". Quand le chant, le récit, et l'instrument avancent d'un même pas, distillant cette puissance d'évocation, on est alors sûr d'être placé face à un moment rare.

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