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30 novembre 2016 3 30 /11 /novembre /2016 18:51

 

  © Philippe Desmazes AFP

 

 

Trois grandes fugues

 

Chorégraphies de Lucinda Childs, Anne Teresa De Keersmaeker, Maguy Marin

 

Par le ballet de l'Opéra de Lyon

 

 

 

Trois pour le prix d'un. C'est comme cela, sur un mode un peu trivial, bassement économique qu'on aurait envie de présenter le spectacle proposé autour de la Grande Fugue de Beethoven (Die Grosse Fuge op. 133). Trivialité balayée très vite devant la richesse de la proposition : trois figures majeures de la danse contemporaine, de générations et de styles différents, s’attellent à une œuvre forte d'un des plus grands compositeurs romantiques.

 

S'il y a une sorte d'évidence à voir Anne Teresa De Keersmaeker articuler une chorégraphie à partir d'une œuvre musicale, cela le paraît moins pour Lucinda Childs, en tout cas en dehors de la sphère musicale répétitive américaine, incarnée par l'emblématique Philip Glass. D'où sa proposition, la plus récente (2016), spécialement conçue pour le ballet de l'Opéra de Lyon. En ouvrant le spectacle, sa version se veut la plus rafraîchissante, puisque collée au présent. Pourtant, ce style, si reconnaissable, propre à une forme de danse post-moderne, n'a au fond pas évolué. L'élégance des figures - entre évolution hiératique et mouvements aériens – ancre la danse de Lucinda Childs dans un écrin intemporel. C'est peut-être que ces juste-au-corps inamovibles, typiques de cette danse post-moderne (dans le sillage de Merce Cunningham), confère à chaque danseur une allure éthérée, la gracilité n'ayant d'égal que la perfection des échanges (on aime particulièrement, dans des mouvements gracieux de jetées des corps, un pied opérant un double glissement sur le sol).

 

Avec Anne Teresa De Keersmaeker, on entre en quelque sorte dans le vif du sujet. Elle fut la première, en 1992, à s'attaquer à la fugue de Beethoven, et voir arriver sa chorégraphie en deuxième position trahit une volonté de ne pas mythifier son approche, tout juste de la glisser entre deux temps, pour lui permettre de produire une respiration entre deux battements. Et on reconnaît chez elle cette tendance chorégraphique de ses œuvres de "jeunesse", fondée sur une inlassable reprise de figures (pas de tournoiements ivres ici, mais des chutes et des roulades, des sauts). Une répétitivité visant à inscrire les lignes chorégraphiques non pas dans un schéma clair, directionnel, mais au contraire à en épuiser toute linéarité. Rendre compte, grâce aux chutes, du frémissement incessant d'une musique palpitante.

 

Quant à Maguy Marin, le plaisir éprouvé devant sa version (2001) tient sans doute précisément au fait qu'on n'y sent aucunement une ligne de partage entre liberté de ton et harmonie des figures de groupe. Il y a, en soi, quelque chose de plus troublant dans sa proposition, car elle ne répond à aucun programme – chez Anne Teresa De Keersmaeker, il y avait déjà une intention forte de marquer sa chorégraphie d'une empreinte désexualisée. Ici, les quatre danseuses créent un trouble perceptif ne serait-ce que par leur façon d'être habillées, dans un manque d'unité visuelle avéré ; mais surtout, plus que les deux autres chorégraphies, leurs différences physiques sautent aux yeux, produisant un degré de singularité qui les rend hétérogènes. C'est la force de Maguy Marin que de transformer les corps par des figures décalées, avec là un corps voûté, là des secousses qui font trembler la belle ordonnance des figures collectives.

 

C'est en cela que ce spectacle est passionnant : commencer avec le plus grand ensemble (Lucinda Childs), pour en montrer les qualités d'évolution scénique pour, au fur et à mesure, se polariser sur seulement quatre danseuses (on passe de douze à huit, puis quatre). Cela ouvre des possibilités de voir des corps non pas pris dans une qualité de maîtrise, d'accomplissement définitif, mais laissant la place à l'incertitude des gestes, là ou toute création reste ouverte.

 

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