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27 octobre 2016 4 27 /10 /octobre /2016 21:09

 

 

 

Aquarius

 

Film de Kleber Mendonça Filho

 

Avec Sonia Braga

 

 

 Il n'y a pas de sujet plus facile à résumer que celui de "Aquarius", le film de Kleber Mendonça Filho : une femme résiste au promoteur immobilier tentant de la déloger de son appartement. Pas foncièrement passionnant en soi, comme thème, mais le cinéaste brésilien se plaît à l'étirer sur 2h25. Complaisance dans l'exploitation de cette durée pour un thème à priori si ténu ?

 

 En vérité, le temps est le grand sujet du film, ou plus exactement : "Aquarius" est un grand film sur le temps. Là où n'importe quel bon cinéaste exploiterait un tel thème en l'enrobant (avec de la réussite ou pas) d'une bonne dose de nostalgie, en plaçant son ou ses personnages dans une posture de résistance au flux inaltérable du temps, Mendonça Filho opte pour une posture beaucoup plus subtile, pour ne pas dire complexe. En effet, que Clara invoque, à un moment du film, son attachement à toute les choses qu'elle a vécues dans cet appartement ne renforce aucunement l'adhérence à un passé. Cette matière mémorielle qu'elle tente de conserver a plus à voir avec la question d'une fusion de tout son être (son corps, jusqu'à sa dégradation sous forme de cancer du sein ; son esprit) avec cet appartement. Foncièrement, l'appartement et Clara ne font qu'un.

 

 Fondamentalement, Clara ne rejette pas le présent. On voit bien qu'elle s'accorde aux signes d'une certaine modernité (le portable, les musiques que son neveu lui télécharge). Droite dans sa détermination, elle est totalement, dans sa résistance, orientée vers l'avenir. Précisément, la maladie qui l'a frappée, en faisant d'elle en quelque sorte une survivante, loin de l'avoir clouée dans un état de repli ou de résignation, assoit au contraire en elle une force indéfectible. C'est précisément d'avoir dépassé la mort que Clara perpétue, par d'indéfectibles actes, sa pulsion de vie (aller à la plage toute proche, écouter de la musique, tenter une relation avec un homme, engager un prostitué, etc). Et lorsqu'elle décide de repeindre l'immeuble, on tient une fois de plus la preuve d'une volonté de ne pas rester figé dans un passé, mais encore de maintenir une forme de rayonnement.

 

 Et en ce sens, ce geste de souillure de pièces scellées devient la représentation métaphorique de ce que réellement, les propriétaires de l'immeuble cherchent à faire : lutter contre l'inscription de Clara dans un temps historique élaboré. Clara, en faisant corps et esprit avec le lieu où elle habite, le dote d'une épaisseur historique, là où les autres n'ont à proposer qu'un renouveau vide, et le ballet surréaliste des matelas dit combien on tente d'emplir artificiellement un espace.

 

Le temps si particulier développé dans "Aquarius", c'est dès le prologue qu'il se manifeste. Prologue détaché du reste du film, conçu comme un moment d'où tout devrait émerger, mais qui se traduit par une irrémédiable césure avec le reste. Les années 80, la chanson de Gilberto Gil pendant la soirée envisagée comme un moment idyllique, et les mots du mari (empreints d'un douloureux soulagement) pour rappeler la lutte de Clara contre la maladie, en disent long sur le fait que ce n'est pas un sujet en soi. Cette Clara jeune, rayonnante, guérie, traduit à quel point la maladie, dans le film, n'est pas un facteur indiquant une posture de survie.

 

 Le film de Kleber Mendonça Filho ne se sert en aucun cas de ce thème pour porter son personnage vers une dimension de survie. Dans le flux du temps, le cancer de Clara, (banalisée dans une scène où l'on voit l'actrice ôter ses vêtements) n'inscrit aucune dimension mortifère. Et la mort du mari qui a un lieu dans un certain point du temps, inexpliquée, n’apparaît que comme un trou noir sur lequel aucun discours n'est établi.

 

 Plus encore, à travers les différents chapitres scandant le film (le cancer de Clara, l'amour de Clara), Mendonça Filho témoigne d'un décalage dans la perception temporelle, puisque ces chapitres ne sont pas développés. S'ils apparaissent, c'est principalement pour s'inscrire dans le tissu mémoriel des personnages, comme des trouées temporelles, des traces marquantes, des points d'orgue de la vie de Clara. Plus encore, face à ce chapitrage, envisagé comme des marques objectives extérieures, inébranlables, la position de Clara est d'affirmer une attitude libre, créant son propre canal temporel.

 

 Pour camper ce rôle magistral, Mendonça Filho a fait appel à Sonia Braga, figure incontournable du cinéma brésilien, mais à qui il offre une prestation échappant aux canons de la starisation. C'est que, dans la peau de Clara, Sonia Braga donne à voir son propre corps au carrefour de deux âges, sans pour autant se fondre dans l'étoffe de ces personnages dévolus aux acteurs vieillissants. La réelle beauté de cette comédienne, facilement lisible dans ses traits fins, sa droiture physique, vrai défi à la dégradation, est parfaitement à même de se couler avec aisance dans ce rôle de femme résistante. Cette justesse du choix de l'actrice contribue à atténuer l'aspect scandaleux de certaines scènes peu évidentes (comme celle avec l'escort-boy). Avec Sonia Braga, "Aquarius", film aussi grave dans son interrogation de la société brésilienne que profond par son étendue dramatique, devient une œuvre d'une lumineuse évidence.

 

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