Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
20 mai 2019 1 20 /05 /mai /2019 20:45

En provenance de Zanzibar, Rajab Suleiman, virtuose du qanoun, enrobe la voix aiguë de la chanteuse Saada Nassor. Entre chants populaires et musique savante, les sonorités évoquent l’Égypte.

 

Rajab Suleiman et le Kithara

 

Avec Rajab Suleiman, qanun ; Saada Nassor, chant, rika ; Foum Faki, bongos et dumbak ; Karama Abdallah, basse ; Mohamed Hassan, accordéon

 

 

 Zanzibar. Nom mythique, terre de fantasme liée au voyage aussi bien que lieu d'empreintes douloureuses liées à l'esclavage, carrefour de métissages et d'échanges commerciales. Terre lointaine pour autant, qui précisément en perpétue l'idéalisation, rendant d'autant plus précieux le concert auquel on a pu assister au Théâtre Claude Lévi-Strauss, du Musée du Quai Branly.

 

 Sur scène, cinq musiciens noirs, où plutôt quatre hommes et une femme. Elle, assise au départ, comme recroquevillée sur son rika, petite percussion, c'est Saada Nassor, dont on apprendra plus tard, qu'elle est une chanteuse célèbre sur l'île de Zanzibar. Autour d'elle, les quatre hommes, habillés de manière identiques (pantalons noirs, chemises claires) font penser à des réceptionnistes d’hôtels de luxe. Saada Nassor, voile discret, exalte elle les couleurs d'une ile qu'on imagine bigarrée.

 

 Ce décalage apparent entre couleurs dédiées au féminin et tenue stricte, terne, des hommes, est aussi une manière d'annoncer les glissements musicaux, de la voix à l'instrument. Saada Nassor, en cela, se glisse dans la peau de la passeuse qui, abandonnant mollement son rika, se lève pour venir se poster devant le micro situé à l'avant-scène, non sans avoir, d'un bref claquement de main, invité le public à l'accueillir chaleureusement. Par cette attitude, elle incarne la posture des divas égyptiennes incarnant le style taarab (terme arabe signifiant « joie », « plaisir », « amusement ») dont cette musique est issue. Forme populaire au départ, elle s'est développée dans les palais de Zanzibar, séparant d'ailleurs style masculin, instrumental, et style féminin.

 

 Mais Saada Nassor n'est pas Oum Kalthoum, et sa voix, aiguë et nasillarde (accentuée par la sonorisation), n'est pas à même de porter un souffle aussi épique. C'est dans son allure, par une danse langoureuse, chaloupée, que vient se placer un peu d'africanité, évocatrice de la morna capverdienne d'une Césaria Evora.

 

  C'est véritablement la prestation de Rajab Suleiman, au qanoun, qui donne une autre dimension au concert, en enrobant une forme populaire d'un style virtuose. Sa façon d'accompagner la voix de Saada Nassor, donne une dimension plus profonde au chant : à chaque mélodie, les notes du qanoun ajoutent une ornementation, comme un dialogue sans cesse renouvelé, souvent dans une accélération. Style responsorial, mais jamais répétitif, le jeu de l'instrumentiste témoigne d'une capacité d'écoute remarquable. Et quand, lors de quelques moments où il joue en solo, il utile son qanoun en frappant les cordes d'une manière percussive, la maitrise de son instrument s'en trouve complète.

 

 Si dans l'ensemble Kithara, on trouve des instruments résolument modernes (guitare basse et accordéon), cela ne nuit en rien à la forme inaugurale traditionnelle de cette musique. On est en effet loin de l'évolution des formes instrumentales égyptiennes qui, chez une Oum Kalthoum, intégrait violons et autres formes orchestrales occidentales. Une tradition certes revisitée, mais qui portée par le virtuose du qanoun et la fringante chanteuse, arrive encore à nous plonger dans les effluves enivrantes de cette fameuse île.

 

Au Musée du Quai Branly, le 19 mai 2019

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Blog De Jumarie Georges

  • : Attractions Visuelles
  • : Cinéma, théâtre, danse contemporaine, musique du monde, voyages
  • Contact

Recherche