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3 mars 2022 4 03 /03 /mars /2022 15:43

 D'une fiction douloureuse autour d'une poétesse frappée d'un cancer incurable, Kinuyo Tanaka livre une ode ou son personnage chemine vers une lumière libératrice.

 

 

 

Maternité éternelle


 

Film de Kinuyo Tanaka (1955)


 

Avec Yumeji Tsukioka, Masayuki Mori, Ryoji Hayama, Yoko Sugi, Shiro Osaka et Toru Abe

 
 
"Après ma mort,
Je surgirai n'importe où
Par exemple, juchée
Sur votre épaule"

 

 

 Film considéré comme le plus accompli, le plus personnel de Kinuyo Tanaka, "Maternité éternelle" (quel titre ! que l'on remplacerait volontiers par la traduction de l'original : "Les seins éternels") ne peut manquer d'interpeller quand à sa façon d'inscrire une trace singulière dans le cinéma japonais classique, dont Tanaka, en tant qu'actrice a occupé le centre depuis le muet, portée par des cinéastes aussi illustres que Kenji Mizoguchi, Hiroshi Shimizu, mais aussi (surtout pendant la période du muet)  Yasujirō Shimazu ou Heinosuke Gosho. 


 

 Que la facture de "Maternité éternelle" soit en apparence classique, tant son développement répond aux canons narratifs en vigueur, le trouble qu'il suscite tient à son thème, cerné par une noirceur tragique, où l'ombre de la mort plane très tôt sur le film, autour de la maladie qui va se déclarer chez Fumiko, poétesse appelée à une reconnaissance auprès de ses pairs. Ce cancer du sein, qui vient se déposer sur le film comme un pur objet aléatoire, en vient contrarier la mécanique dramatique, comme un ressort instable qui n'enraye rien, mais s'installe jusqu'à la fin comme un moteur tragique par rapport auquel Fumiko adopte des postures combinant les affects les plus divers : de la lamentation désespérée, accentuant l'impression qu'aucune histoire n'est possible, et des phases d'éclaircies : il s'agit littéralement d'ouvrir l'espace (celui, de plus en plus asphyxiant, de l’hôpital, par des stratagèmes précis : se maquiller avant de recevoir le journaliste venu l'encourager à écrire où, lorsque se forme un rapprochement affectif, regarder son amant dans un miroir ; oser la réappropriation de son corps mutilé au risque d'effrayer sa meilleure amie.

 

 

 Dans ses stratégies, prendre du recul à l'égard de son propre corps, (en regardant l'autre dans un miroir) témoigne de la tentative de trouver un point d'équilibre par rapport au sentiment persistant d'une disparition prochaine. L'actrice Yumeji Tsukioka parvient à rendre avec un mélange de légèreté frivole et de gravité mélancolique l'évolution de Fumiko, tamisant ses propos tragiques sur son inexorable perdition. Ce côté aérien de son personnage n'est pas sans faire penser à certaines figures féminines chez Mikio Naruse, dont la légèreté l'emporte sur le tragique.


 

 L'un des aspects les plus étonnants du film tient à son traitement, bref mais surprenant, quasi documentaire, du cancer du sein, où l'opération est brièvement montrée mais dans toute sa crudité médicale. Cette séquence furtive n'est pas sans faire penser à ce que, 12 ans plus tard, le fantasque cinéaste Yasuzo Masumura fera avec « La femme du docteur Hanaoka », relatant l'histoire du premier chirurgien à avoir pratiqué une opération sous anesthésie générale.


 

 Parfois menacé par les propos désespérés de son personnage principal, « Maternité éternelle » réussit à renverser la chape émotionnel pour inscrire le cheminement de Fumiko dans un champ de lumière : aux confins de la tristesse et du sentiment de la perte perce une lumière, une façon de recomposer le rapport à l'espace et aux autres (montrer ses plaies à une amie au sortir du bain, ne plus se cacher), au temps (un superbe poème suffit à faire revenir le journaliste rappelé par sa rédaction). Actions qui sont tout autant des signes d'émancipation, prolongement du divorce obtenu avec un mari volage. Gains sur l'oubli et la douleur, qui porte le film vers des horizons allégés.

 

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