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24 mai 2013 5 24 /05 /mai /2013 10:04

 

 

 

 

 

Dénommé Gospodin

 

Pièce de Philipp Löhle

 

Mise en scène de Benoît Lambert

 

Avec Christophe Brault, Chloé Réjon, Emmanuel Vérité

 

 

  Deux ans après "Que faire ? (le Retour)" (1), Benoît Lambert revient au théâtre de la Colline, continuant, avec l'appui de textes éloquents, à creuser son rapport au politique. Avec "Dénommé Gospodin", la pièce de Philipp Löhle, le propos se signale par une clarté encore plus prononcée, autour du refus du personnage principal, Gospodin, de céder aux sirènes de la société marchande.

 

 Clarté du propos qui, dès le départ, s'appuie sur une certaine transparence, pour ne pas dire neutralité de la mise en scène - à tel point qu'on a pu entendre, dans une salle principalement constitué d'un public âgé, la parole d'une femme : "Ce n'est pas avec ce décor qu'on va s'ébaubir". Il est vrai que ce simple rideau qui fait toute la largeur de la scène relève d'une simplicité qui, lorsque des images y sont projetées, donne vraiment l'impression d'une scénographie élémentaire.

 

 Quand adviennent les comédiens (notamment Chloé Réjon et Emmanuel Vérité, déguisés en steward), micros à la main, le détachement avec lequel ils narrent les aventures de Gospodin ajoute à cette approche élémentaire, tout comme au tracé parfaitement lisible de ce texte. Avec l'approche descriptive qui prévaut alors - nous ramenant quelques mois en arrière avec "Tristesse animal noir"  dans le même théâtre -, on a quand même l'impression que Gospodin, par l'intermédiaire de Christophe Brault, peine un peu à trouver sa force d'incarnation. Porté par un texte qui ne lui appartient pas, comme réduit à l'état d'un pantin issu du cinéma muet - et ceci est renforcé par les projections -, il prend d'autant moins de place qu'il semble fuir.

 

  Mais cette difficulté-là est aussi une manière de dire, par le seul moyen de la mise en scène, à quel point le personnage est en décalage total avec la réalité. Déjà, son discours de fustigation, où il vise de manière quasi mécanique les comportements "petit-bourgeois", le place dans une veine anarcho-libertaire ; un lexique de révolté qui renvoie à maintes postures utopiques largement éprouvées. Quand les deux personnages de "Que faire ? (le Retour)", en archéologues de l'utopie, tentaient de ranimer la flamme de leurs meilleures années à coup de reconstitution livresque, le discours de Gospodin, dans son marquage lexical, n'opère aucune coupe historique ou nostalgique.

 

 Dans son écart par rapport au capitalisme et son refus de tout ancrage social, Gospodin avance dans une sorte de bulle flottante, signifiée symboliquement par ce matelas de paille sur lequel il dort. Flottement qui prend l'allure de rêverie et qui permet à Benoît Lambert de rompre toute notion d'attache à des catégories sociales ou existentielles. La dimension utopique du texte, intemporelle, se frotte allègrement aux interrogations les plus vives relatives à l'actualité, où beaucoup pointent de plus en plus l'obscénité de l'enrichissement.

 

 Cette approche devient d'autant plus pertinente quand, à peu près au milieu de la pièce, c'est la question de l'espace qui est mise en avant : le rideau tombe, et donne littéralement matière à une levée des masques, de l'hypocrisie et de l'ambiguïté. Quand arrive de manière explicite la question de l'argent confiée à Gospodin, Benoît Lambert offre au spectateur un maximum de visibilité. Limpidité du discours va alors de pair avec limpidité de la mise en scène. Les comédiens (Chloé Réjon et Emmanuel Vérité) qui, dès le début, changeaient de personnages, sont montrés sans fard dans les coulisses, en train de s'habiller.

 

 C'est l'idée la plus belle du spectacle que d'orienter la pièce vers cette nudité. C'est surtout là que la mécanique comique à l'oeuvre fait merveille. Si Emmanuel Vérité, dans ses métamorphoses, garde un air adolescent lié à sa voix flûtée, Chloé Réjon explose littéralement en endossant différents personnages, divers âges et diverses voix (elle use d'un accent espagnol). C'est la qualité première de "Dénommé Gospodin" que de s'appuyer sur un texte à la nature éminemment politique pour l'engager dans un élan purement comique. Benoît Lambert réussit ainsi à nous donner en partage un moment vibrant.

 

(1) "Que faire (le Retour)" est repris à la Colline du 12 au 22 juin.

 

A lire aussi sur ce blog, la critique de  "Que faire (le Retour)"   :  http://attractions-visuelles.over-blog.com/article-que-faire-le-retour-la-scene-du-politique-76984128.html

 

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