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30 novembre 2010 2 30 /11 /novembre /2010 16:00

 

 

 

 

 

Le soldat dieu

 

Un film de Koji Wakamatsu

 

Avec Shinobu Terajima, Shima Ohnishi, Ken Yoshizawa

 

  Je vais tomber comme une pétale de fleurs pour l'Empire. Caterpillar

 

 L’hommage que la cinémathèque rend au cinéaste japonais Koji Wakamatsu a commencé par la diffusion de son dernier long-métrage en avant-première. Mais avant la projection, un petit film a été présenté, expliquant les raisons de l’absence du cinéaste, alors que sa venue était annoncée. Filmé en plan serré, d’une politesse exquise, il s’excuse en motivant son absence par un cancer de la prostate qu’il doit traiter. Il promet par ailleurs de réserver la découverte de son prochain film à la France. Cette sincérité confondante, d’une douceur étonnante, ne laisse pas réellement présager de la nature du film qui va suivre.

 

 Il faut connaître le cinéma de Koji Wakamatsu, peu diffusé en France, pour ne pas être surpris par l’argument de "Caterpilar" (titre original du film) : Pendant la deuxième guerre mondiale, le soldat Kurokawa, blessé, est ramené auprès de son épouse Shigeko défiguré, sans bras ni jambes. Ce qu’on peut, de prime abord, qualifier de cinéma de la cruauté résonne pleinement dans cette présentation liminaire. Il y a trois ans, un de ses films ("Quand l’embryon part braconner"), avait fait l’objet d’une sortie en France. Daté des années 60, il présentait les thèmes que, des dizaines d’années après, Wakamatsu  travaille encore, plus particulièrement le rapport entre le sexe et la politique.

 

 Que "Le soldat dieu" présente les mêmes obsessions, cela transparaît d’entrée de jeu dans le film, avec une sorte de banalité qui ressemble à du recyclage obstiné : des soldats japonais poursuivent et violent des femmes chinoises. A l’image de la sincérité du cinéaste, cette constance thématique se pare d’une évidence visuelle. L’épouse, d’abord horrifiée de la vision de son mari mutilé, s’enfuit pour être rattrapée et rassurée par le frère de la victime. Dès lors, et sous l’empressement mesuré de la famille et du voisinage, il s’agit pour elle de se fondre dans une représentation d’une image héroïque du soldat. On est alors loin de la psychologie humaniste d’un  "Elephant man".

 

 "Le soldat dieu"  est aussi, sur ce plan, l’envers d’un autre film de la cruauté  "La femme de Seisaku" , de Yasuzo Masumura, où une femme, afin d’empêcher son mari de partir à la guerre, lui crève les yeux. Ici, les affects doivent se plier aux apparences. Il y a nécessité de se rengorger devant l’horreur pour la supporter, l’inscrire dans le moule du collectif. Et l’apparence, c’est le positivisme de la guerre, la mise en avant de l’héroïsme. Les nombreuses archives sonores d’époque émaillant l’effort de guerre sont tout autant de conditionnements visant à décérébrer l’individu. Il faut voir les scènes confinant au ridicule où les villageois s’entraînent avec des batons de bambou en prenant d'assaut des amas de tissus suspendus figurant l’ennemi.                

 

 Wakamatsu n’est pas tendre avec cette position japonaise de la guerre durant la seconde guerre mondiale. Ce ne sera pas le premier, mais il alimente sa critique de positions confinant au grotesque, comme avec ce personnage, sorte d’idiot du village, paré comme un moine déchu, qui fouille dans son nez lors d’une cérémonie destinée à célébrer le départ à la guerre. Par ailleurs, afin de donner à sa verve politique une dimension contemporaine, malgré la présence d’archives visuelles et sonores, Wakamatsu, par sa manière de filmer, ancre résolument son intrigue dans une immédiateté, un hors temps. En resserrant l’espace par un confinement dans la maison de Shigeko et de Kurokawa, il fait en sorte que la maison soit le monde.

 

 L’histoire vient se loger dans un espace réduit. Nous sommes alors dans la visibilité maximale, presque obscène, qui amène Wakamatsu à dévoiler sous tous les angles le visage défiguré du soldat et ses membres absents – il y a la une véritable prouesse dans le réalisme de cette représentation. Ce rétrécissement de l’espace, cette perte de repère favorise un repli régressif car l’homme, très vite, révèle ses envies sexuelles, malgré le fait qu’il soit aussi devenu sourd et muet. Il ne pense qu’à  "manger et dormir" , comme le scande la femme, à mesure qu’il se fait de plus en plus exigeant et elle de plus en plus docile et compatissante.

 

 Devant cette réduction de l’homme à des fonctions élémentaires, la femme ne nomme jamais son appétit pour le sexe. Elle ne peut que qualifier la nourriture et le sommeil. Pourquoi ? Il y a sans doute une notion de déni dans ce silence, puisqu’on apprend plus tard que son mari la battait car elle ne pouvait lui donner d’enfant. Déni du sexe marqué du sceau de la culpabilité qui lui fait, un temps, se résigner avec sincérité avant que ne sonne, dans une dialectique hégélienne du maître et de l'esclave, l’heure de la révolte et de l’inversion des rôles. Il est alors traité comme un enfant, giflé pour avoir uriné sur lui.

 

 Dans cet espace domestique confiné, filmé au plus près des corps, Wakamatsu rejoint une forme d’intimité étouffante rencontrée dans le film de Nagisa Oshima, "L’empire des sens", dont il était par ailleurs le producteur exécutif. On y retrouve aussi, dans les scènes d’amour, une répétitivité obsédante confinant à la folie. Il y a même, dans la représentation du corps du mutilé, une manière de contourner la censure – ou de la provoquer – en montrant ses poils, l’un des interdits de la représentation au Japon. Volonté d’humaniser un être humain réduit à des fonctions simples ou pur pied de nez face à la censure, Wakamatsu est en tout cas un cinéaste qui a envie, encore et encore, de montrer ses crocs.

 

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