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21 mai 2010 5 21 /05 /mai /2010 11:22
 
 
 
The show must go on
 
Spectacle de Jérôme Bel
 
 Il s'est déroulé quelque chose de très particulier le mercredi 19 mai au Théâtre de la Ville, lors d'une représentation de "The show must go on", reprise d'un spectacle de Jérôme Bel présenté à Paris en 2001. Dans cette salle phare où sont programmés les plus grands chorégraphes contemporains, le public, aussi attentif qu'exigeant, peut se fendre de réactions outrées pour signifier son mécontentement. La chorégraphie de Jérôme Bel, vieille déjà d'une dizaine d'années, est en quelque sorte entrée au répertoire, lui valant, ce soir-là, d'être interprété par le ballet de l'opéra de Lyon. Manière pour une oeuvre ayant marqué une génération de renforcer sa respectabilité.
 
 Pourtant, très vite, un joyeux désordre s'est installé dans la salle; mélange de déroute, d'indignations à peine étouffées tout autant que surprises réjouies. Tout simplement, on n'a sans doute rarement eu autant l'impression que le spectacle se déroulait tout autant dans la salle que sur scène. Les réactions sont principalement provoquées par la façon dont la mémoire individuelle de chaque spectateur est convoquée par les morceaux de musique diffusés par un DJ. Le processus d'identification, d'emblée, fonctionnait à plein. Dès le premier morceau, l'immobilité des "danseurs sur scène invitait à un déplacement de l'attention pour la concentrer sur ce qu'on pouvait connaître le mieux, c'est-à dire cette musique, en ce qu'elle pouvait nous renvoyer à nos propres souvenirs.
 
 D'emblée, certains, oubliant qu'ils étaient dans une salle, poussaient à fond le phénomène d'identification jusqu'à se mettre à chanter. La disparité des corps et des âges, fondatrice du spectacle initial, se déplace ici vers la salle. Puisque, en raison de l'éclairage, les visages des spectateurs sont largement visibles, il y a au départ matière à s'interroger sur la réception d'un spectacle dont la bande son cumule des standards de rock. Pourtant, ces écarts générationnels sont balayés par une magie opérant sur un tout autre plan, balayant du même coup la "muséification" de cette pièce.
 
 Une jeune femme, trépidante d'impatience, manifestement venue pour assister à de la danse, regrette amèrement de payer 15 euros pour voir un spectacle, tant, pour elle, il ne se passe rien sur scène. Elle finira par quitter la salle avec son ami, après des hésitations liées à la crainte de déranger les spectateurs de sa rangée - alors qu'elle n'a pas arrêté de parler. Un homme d'une soixantaine d'années trépigne comme un enfant, applaudissant en cours de spectacle pour marquer son contentement, tandis que sa voisine, encore plus âgée, ne cesse de jeter vers lui des airs ahuris. Comme d'autres, elle semble égarée dans la salle, ne comprenant pas le point de satisfaction qui amènent petit à petit de plus en plus de gens à applaudir après chaque morceau. L'enthousiasme finit par gagner de plus en plus la salle, au point que certains se lèvent pour danser tandis que d'autres, plus discrets mais n'en pouvant plus, se trémoussent sur leur fauteuil.
 
 Ce n'est pas tant qu'il ne se passe rien sur scène pour que des gens se mettent à danser : c'est que la musique - qu'elle parle ou non aux spectateurs - se répand dans la salle comme une onde qui va se saisir de ceux qui veulent bien se laisser entraîner ; qui abandonnent, pour un instant, leur culture chorégraphique. L'incomplétude du spectacle, son vide supposé, son minimalisme créatif, appelle une complémentarité avec le spectateur. Et c'est ce que bon nombre de personnes finissent par comprendre, au milieu des manifestations goguenardes, mais bon enfant. Il n'est pas fréquent, alors même qu'il existe une séparation spatiale nette entre la scène et le public, de voir s'établir un équilibre, une circulation entre les deux.
 
 Alors, y aurait-il donc si peu à voir sur scène pour que le spectateur soit amené à combler une certaine non-représentation ? Certes, les effets sont minimalistes, mais produisent suffisamment pour que ce spectacle reste dans les mémoires. Dans la non originalité revendiquée, il y a chez Jérôme Bel un geste créateur qui consiste, sur un mode référentiel, à saisir "l'éthos" de postures dansées, populaires, inscrites dans les mémoires. Ces gestes, à force d'être identifiés comme tel, pérennisés, prennent pour certains un tour parodique, au point de déclencher, dès qu'ils se manifestent, le rire du public. Rien de drôle à priori de voir répéter une scène emblématique de "Titanic", de James Cameron. La façon dont le plateau disparaît avec les danseurs dans une fosse, contient une réelle charge poétique, tout comme, dans cette même fosse, résonne le morceau des Beatles "Yellow submarine". C'est aussi la force de ce spectacle que de proposer des images identifiables par tous qui contiennent leur capacité de surprendre, d'amuser, ou de faire rêver.
 
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