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23 mai 2011 1 23 /05 /mai /2011 15:00

 

 

 

 

 

Wu Man, luth pipa

 

  La présence de Wu Man sur la scène du Théâtre des Abbesses apporte un pallier supplémentaire dans l'exploration des musiques traditionnelles. Wu Man, habituée du Théâtre de la Ville, est l'un des fleurons  du dépassement des frontières. Annoncée dans le concert du 14 mai pour être accompagnée par un musicien ouïghour, ce fût tout autre chose qui se présenta sous nos yeux, avec les personnalités d'apparence placides de deux joueurs d'Asie centrale, venant respectivement du Tadjikistan et du Kazakhstan.

 

 Les rencontres de Wu Man avec d’autres musiciens sont d’autant plus surprenantes que le luth pipa reste un instrument profondément intimiste. Le jeu de Wu Man sur la scène des Abbesses plonge le public dans une intériorité renforcée par la technique de jeu. Des sons cristallins s'écoulent des cordes de soie, et la délicatesse avec laquelle les doigts égrènent les notes font du pipa un instrument profondément féminin. Dans ce répertoire, s'il est question de phases bien nettes (lenteurs contemplatives, accélérations virtuoses), cela renvoie aussi bien à un temps humain qu'à des références liées à la nature (grondements des éléments suivis de phases de repos).

 

 Quand Wu Man arrive sur scène avec son instrument, les deux chaises vides au départ qui l'encadrent appellent une interrogation mêlée d'un intérêt grandissant ; un véritable suspens lié à cette première rencontre. Il y a là un paradoxe, ou du moins comme une tension temporelle entre une musicienne qui s’emploie à faire connaître un répertoire chinois très ancien (9ème siècle), à tenter d’autre part de retrouver le parcours de la route de la soie qui voyait des peuples se rencontrer lors d’échanges commerciaux. Cette rencontre, à vouloir retisser les fils perdus, installe un trouble sous forme d’improbabilité. Car, en voyant les trois musiciens réunis sur scène, on dirait au départ qu'un monde sépare non seulement Wu Man et les deux hommes, mais qu'il y a autant de distance entre le tadjik et le kazakh.  

 

 Mais tout l’intérêt du concert repose sur ce frémissement de la rencontre, sur l’impression d’assister à quelque chose d’inédit. Lorsque Wu Man se retire sagement sur une chaise en fond de scène, elle laisse toute latitude aux deux hommes pour exalter leur jeu, et en les rejoignant, elle ne manque pas de s’étonner d’une prestation qu’elle trouve courte : «That’s it ? », demande t-elle avec le sourire. C’est dire la qualité d’accueil de cette femme qui est allée jusqu’à apprendre avec un ami un morceau kazakh, dont la particularité rythmique, spécifique à l’Asie centrale, repose sur l’imitation du galop de cheval. Le musicien kazakh, de ses deux luths (tanbur et dotâr) nous livrera des exemples témoignant de sa virtuosité débordante. Les doigts, dans ce style, ont une importance considérable, par la manière dont ils s’ouvrent, courent sur les cordes jusqu’à parfois entamer comme une danse débridée, avec une souplesse confondante.

 

 Quand au musicien tadjik, de sa vielle à archet sato, s’il surprend, ce n’est au contraire pas du tout lié à quelque prouesse technique, mais bien plutôt par un jeu qu’on dira inamovible : tranquillité du rythme, avancée paisible de la mélodie, qui dessine des territoires propices à la contemplation, au repos. Ce style musical renvoie par ailleurs beaucoup au chant. Chaque note jouée peut aisément évoquer la voix d'une Monajat Yultchieva, fameuse chanteuse ouzbèke plusieurs fois présentée au Théâtre de la Ville. C’est bien de l’inévidence de cette rencontre, de la confrontation joyeuse de rythmes et de tonalités qu’émerge une constante surprise.

   

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