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23 septembre 2023 6 23 /09 /septembre /2023 16:40

Dans "Oasis love", de Sonia Chiambretto, la langue de la banlieue est filtrée par un travail d'orfèvre, restituant les sujets les plus brûlants sous un angle poétique.

 

 

 

Oasis love

 

Conception, texte et mise en scène de Sonia Chiambretto

 

Collaboration artistique de Yoann Thommerel

 

Avec Théo Askolovitch, Sonia Chiambretto, Lawrence Davis, Déborah Dozoul, Emile-Samory Fofana, Felipe Fonseca Nobre, Julien Masson

 

 

 Des corps dos au public, puis à mesure que la pièce avance, les comédien.ne.s instaurant une forme d'adresse consistant à se tenir cette fois face à ce public, dans une langue souvent proférée comme dans un geste d'interpellation tendue. Dans « Oasis love », de Sonia Chiambretto, le principe de mise en scène, même s'il est soumis à une dynamique liée aux déplacements d'une structure, repose sur un schéma simple. Car pour l'autrice et metteuse en scène, ce qui est privilégié avant tout, c'est bien la parole. Qui plus est une parole reflétant la vie des quartiers, que l'actualité renvoie souvent sous un angle négatif.

 

 Pour Sonia Chiambretto, dont le travail créatif s'appuie sur une fréquentation des jeunes issus de ces milieux populaires, il s'agit ni plus ni moins que de faire advenir une forme poétique de ces espaces par un agencement particulier de la langue. Si de plus en plus de metteurs et metteuses en scène s'attellent à délivrer une parole vivante, loin des canons littéraires reconnaissables, l'approche de Chiambretto dévie quelque peu. Dans « Oasis love », on aura beau inscrire les corps et les voix des jeunes comédien.ne.s dans un registre particulier (gouaille, vocable fleuri, intonations des quartiers), le travail effectué par l'autrice consiste à les passer dans un moule jusqu'à en triturer la forme avant de les restituer sur un mode musical.

 

 « Oasis love » repose ainsi sur un paradoxe fécond sur le plan de la création : extirper du réel une matière reconnaissable, en convoquant sur scène les protagonistes d'un champ social spécifique, pour mieux en extraire une substance poétique. Dans la pièce, les répétitions de phrases abondent (tu me love?), les expressions (tel mimer un aboiement, récurrent) sont s'inscrivent dans un élan rythmique constant. De la voix brute des quartiers à une stylisation vocale axée sur une rythmique répétitive, « Oasis love » fait basculer les modes de langage repérables sur un plan incantatoire.

 

 Cette approche n'est pourtant pas sans risque, comme si la pièce avançait sur un fil fragile, entre spontanéité débordante liée au jeu des comédien.ne.s, et répétitivité marquant un travail extrême de la langue. La dynamique de la mise en scène court ainsi le risque d'être figé, les corps perçus comme des réceptacles de la langue. Il en est ainsi de la présence sur scène de Sonia Chiambretto, debout à droite, devant un pupitre sur lequel est posé son texte. Une présence qui, de par le décalage qu'elle instaure avec l'effervescence des autres (elle lit son texte plus qu'elle ne l'interprète), rompt quelque peu l'unité de la pièce. Lawrence Davis, debout à côté d'elle, semble ainsi attendre, muet, qu'elle arrête de parler avant de pouvoir s'exprimer.

 

 L'autrice et metteuse en scène donne surtout par là l'impression d'être une gardienne de son propre texte, comme si le fait d'être sur scène, telle une éclaireuse, était nécessaire pour valider l'univers dont elle est à l'origine. Par ailleurs, à côté de la relation entre policiers et jeunes des quartiers, donnant lieu à des moments franchement désopilants, Sonia Chiambretto introduit des références (Maurice Papon et les algériens jetés à la scène, Black lives matter, Zyed et Bouna électrocutés...) par trop écrasantes pour une pièce dont la durée n'excède pas une heure vingt.

 

 Heureusement, « Oasis love » est portée par l'incandescence de jeunes interprètes, qui contribuent à maintenir cette flamme du théâtre, en contribuant à nous rendre une langue des banlieues plus proche.

 

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