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4 juillet 2012 3 04 /07 /juillet /2012 22:57

 

Cosmopolis

 

 

Cosmopolis

 

Film de David Cronenberg

 

Avec Robert Pattinson, Sarah Gadon, Kevin Durand, Mathieu Amalric, Juliette Binoche

 

"Notre intérieur nous environne comme un lointain parfaitement exercé" : Rainer Maria Rilke

 

 

 De plus en plus, on attend chaque film de David Cronenberg en se posant la question de son inscription dans un genre. Après les séries b policières âpres ("A history of violence",  "Les promesses de l'ombre"), de luxe ("A dangerous method"), "Cosmopolis", avec son titre en forme d’anticipation, résonne comme un retour aux sources dans l’univers qui a assis la réputation du cinéaste canadien.

 

 On trouve, dans "Cosmopolis", autant une continuité qu’une rupture dans l’espace fantasmatique de Cronenberg. Espace de plus en plus envahi par la parole, mais articulé de concert à la question du désir. Dans "A dangerous method", la tension érotique qui amenait Jung à déborder son cadre initialement fixe de thérapeute, s’accompagnait d’une joute verbale permanente avec Freud, liée à leur dissension théorique. La parole n’annule pas le discours sur le sexe, elle le prolonge pour finalement se mélanger avec lui.

 

 Même schéma dans "Cosmopolis" : les rencontres de passage d'Eric Packer (Robert Pattinson), notamment avec Juliette Binoche, dans leur effectivité corporelle, ne sont pas plus signifiantes que les scènes entre Packer et sa femme, différant sans cesse la rencontre sexuelle, que Packer appelle avec ardeur – il lui propose même, dans un restaurant, une rencontre aux toilettes. Tension verbale et activité érotique naviguent sur une même crête.

 

 À cet égard, et concernant la question du désir sans cesse différé, "Cosmopolis" entretient plus d’un rapport avec deux films majeurs de Cronenberg : "Vidéodrome" et "Crash". Dans "Vidéodrome", vieux déjà de près de trente ans, la recherche incessante de la jouissance se concluait sur une phrase désormais fameuse : "long live to the new flesh". Comme si cette jouissance, ressentie, approchée, ne pouvait rassurer le personnage incarné par James Woods qu’en étant pris dans une détermination globale, future. Dans "Crash", le film qui pousse le plus loin ce rapport à la jouissance, en l’adossant à la mort, les dangereuses tentatives du couple se soldent par une formulation marquant l’incertitude d’accès à la satisfaction : "Maybe the next time".

 

 Film de tension entre l’intérieur et l’extérieur, l’individu et le monde, le désir et la frustration, "Cosmopolis" se teinte d’une douce mélancolie. Dans sa posture purement régressive (la limousine envisagée comme refuge, moment de repli autistique), Packer incarne le paradoxe d’un univers mondialisé où la connexion avec le plus proche ne se fait plus : il tue son garde du corps qui n’a pas su le maintenir dans son cocon protecteur (la tarte à la crème, avec l'apparition désopilante de Mathieu Amalric) ; son chauffeur qu’on aperçoit enfin converse essentiellement avec son coiffeur.

 

 Evidemment, le traitement des voitures qui rapprochent "Cosmopolis" et "Crash" est marqué du sceau de l’antithèse : faire voler le désir en éclats au risque de la mort dans l’un, se protéger à tout prix de tout envahissement de la réalité dans l’autre. Mais la voiture, malgré la volonté de Packer de la tenir immaculée, intègre les stigmates de l'environnement ambiant, avec ces graffitis qui l’enlaidissent.

 

 C’est ainsi que "Cosmopolis", dont une grande partie est filmée dans cette limousine-maison (ou coquille) prend des allures de film-installation : on y voit un corps détaché des contingences existentielles évoluer, faire l’amour, uriner. Saisissants effets que ces prises de vue dans la voiture tantôt immobile et qui, lorsqu’elle avance avec la lenteur d’un cortège mortifère, semble faire du sur-place.

 

 En comparaison de cette splendide mise en scène dans la voiture, les vingt dernières minutes de « Cosmopolis » peuvent décevoir, de par leur allure essentiellement théâtrale. Pourtant, ce retour à un réel terne, axé sur le dialogue, ne trouve pas moins sa place dans l'univers de Cronenberg. Ce n'est jamais qu'une séquence en chambre, où le désordre apparent, la trivialité de l'image, renvoient tout autant au retour au réel qu'à l'univers de Cronenberg : Packer assis dans son fauteuil, pris d'une impulsion auto-destructrice renvoie beaucoup à une scène de « Vidéodrome » où James Woods se tient dans une position quasi-identique. Seulement, ici, la résolution n'amène plus à exalter la chair, mais à se couler dans un vertige tragique.

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