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16 septembre 2012 7 16 /09 /septembre /2012 22:22

 

 

La servante

 

Film de Kim Ki-young (1960)

 

Avec Lee Eun-shim , Ju Jeung-nyeo, Kim Jin-kyu

 

"Et détruire est instructif pour ceux qui veulent voir" Jan Fabre (Prometeus Landscape).

 

 

  Il faut un certain effort pour dépasser l'apparent excès de ce film coréen sorti en 1961, et qui scandalisa tout un pays. Il y a possibilité, pour l'apprécier, de passer par ses propres filtres référentiels. Par contiguïté sonore, "La servante" renvoie, en Occident, à "The servant", de Joseph Losey, autre film sulfureux qui opère sur une dialectique : renversement des positions entre le maître et l'esclave chez le cinéaste britannique, entre un père de famille respectable et une servante chez Kim Ki-young.

 

 Mais cette référence, pour aussi pertinente qu'elle soit, n'a qu'une valeur rassurante : enfermer le film coréen dans un cadre culturel particulier permettant de dévoiler son sens. Or, "La servante", et la dimension sulfureuse qui l'accompagne, ne livre sa charge critique patente que si on l'enserre dans son espace originaire.

 

 Car la force subversive du film repose toute entière sur une destruction pure et simple du socle confucianiste, mode de fonctionnement de la société encore à l’œuvre en Corée ( du Sud, pour rester prudent). La prégnance de l'intrigue est de faire de l'introduction de la servante l'élément participant à cette destruction, comme un électron qui vient gripper la mécanique bien huilée d'une société fortement hiérarchisée.

 

 Avant même les ravages provoqués par la venue de la servante, le film distille cet équilibre particulier lié à la place que chacun doit tenir : il faut voir la mère renvoyer le père à un ordre civil lorsqu'il veut réprimander une première fois son fils, puis la même approuver la punition du fils (tenir les bras levés), dès lors que celui-ci s'est montré cruel avec sa sœur aînée.

 

 Le point de départ, qui voit une ouvrière déclarer sa flamme au prof de piano, est révélateur de cette rigidité des positions empêchant toute surprise. Sans état d’âme, il emmène le mot qu'elle lui a laissé à la directrice. On apprendra plus tard que c'est son amie, qui viendra suivre des cours chez le prof, qui l'y avait poussée. On devine sans peine que cette retenue reposait sur une peur de rompre l'ordre établi, qui veut qu'on ne fait pas des avances à un professeur.

 

 L'équilibre en jeu au départ, le conformisme des positions - déjà ébréché par la cruauté du frère envers sa sœur - se trouvent emblématisés par la conduite de la mère, prolongés par sa tenue traditionnelle. Son côté sacrificiel, représenté par le travail auquel elle se livre dans leur nouvelle et grande maison, se traduit visuellement par un équilibre du plan, rendu par sa position devant sa machine à coudre, en madone soumise et souffreteuse. Sa position dans le cadre renvoie beaucoup à une dimension picturale. On croirait en effet voir la brodeuse de Vermeer, absorbée dans son labeur. Sauf qu'ici, cela prend un tour grotesque, quand elle est affairée à son travail, alors que son mari couche avec la servante.

 

vermeer_p400.jpg

 

 L'irruption de la servante vise précisément à rompre cette harmonie du plan et de l'espace. Dès son entrée en scène, elle prend littéralement possession des lieux et des objets qui lui sont afférents : elle débusque un rat, trouve le poison ; efficacité radicale qui donne d'emblée l'impression qu'elle est plus familière des lieux que la famille bourgeoise. Avec sa présence féline, ses mouvements incessants, elle modèle le cadre à son image, en tournant autour des pièces, espionnant, se dissimulant. Les vitres qu'elle révèle ouvrent ainsi l'espace, lui donnant une transparence baroque, là où il n'y avait que mise à plat et circulation unique, par l'intermédiaire de l'escalier.

 

 Par cette immixtion d'une figure dans un cadre bourgeois, venant en perturber le fonctionnement, "La servante" se place, de manière annonciatrice, du côté de certains cinéastes, comme Pasolini, avec "Théorème". Mais il annonce surtout des cinéastes asiatiques, le sulfureux Koji Wakamatsu, et sa capacité à filmer des intérieurs étouffants, ou le japonais Yasuzo Masumura, dans sa dérive délirante avec un film comme "La bête aveugle". Malgré un final en forme de repenti édifiant, et une musique tonitruante s'achevant souvent par des climax orageux, "La servante" conserve encore les sillons de la modernité.

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