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28 février 2013 4 28 /02 /février /2013 22:06

 

 

 

 

Chatrak

 

Film de Vimukthi Jayasundara

 

Avec Paoli Dam, Sudip Mukherjee, Tómas Lemarquis, Sumeet Thakur

 

 

 Un homme qui vit dans la forêt, dort dans les arbres, mange des champignons (chatrak, en bengali) ; son frère, Rahul, architecte revenu de Dubaï pour superviser un chantier à Calcutta, retrouvant sa compagne Paoli. Il y a, dans ce programme fictionnel liminaire, de quoi tisser une opposition entre la nature et la ville.

 

 Disons-le d'emblée, Chatrak est une fable écologique, mais dépourvue de tout le fatras idéaliste qui pourrait alourdir le positionnement de Vimukthi Jayasundara. Le cinéaste utilise les moyens du cinéma pour créer son opposition en se gardant de toute pesanteur discursive. C'est ainsi que pour éviter toute séparation nette et tranchée entre ville et nature, il commence son récit par de longues minutes dans la forêt, essentiellement silencieuses, à la rencontre de cet homme y vivant, et ses liens avec un soldat gardant la frontière.

 

 Inutile de chercher un sens dans ces premières séquences exaltant la nature, magnifiquement filmée, où bruissent les feuilles des arbres et résonnent les chants des oiseaux. Si Jayasundara réussit son approche cinématographique, c'est en exaltant la nature au détriment de la ville, de manière purement visuelle. C'est ainsi que la forêt nous apparaît immense, marquée par des chausse-trapes (le soldat qui chute), mais permettant une forme d'épanouissement (le plan où le soldat et l'homme vont se baigner, nus, dans une rivière). Dans ce dernier passage bucolique, la caméra reste éloignée, de manière à rendre compte de l'étendue. Le plan respire.

 

 Toute autre est la représentation de la ville, caractérisée par une contradiction révélatrice du virage vers la modernité opérée par une ville tentaculaire comme Calcutta. La ville apparaît grouillante et étouffante dès lors que les personnages circulent en rickshaw (à la recherche du frère), tout autant que son gigantisme s'affirme par la vision des immeubles en construction. Pourtant, c'est dans cette représentation de ces chantiers qu'on a l'impression d'un étouffement : la grisaille dominante bouche l'horizon, aplatissant les perspectives.

 

 Perché dans une pièce vide, recevant un ouvrier vantant les qualités de son fils, la position de Rahul révèle une immense solitude. Là où le soldat et frère fou communiquent par des gestes (jusqu'au mimétisme de l'un), la tentative de séduction d'un patron par un ouvrier ne débouche sur rien de concret. La parole ne débouche que sur du vide, dans une forme d'absurdité kafkaïenne.

 

 C'est le mutisme à l'œuvre dans "Chatrak" qui, quelque part, peut déranger. Il est clair que Jayasundara appartient à une génération de cinéastes contemporains faisant plus confiance à la force signifiante des images qu'aux dialogues explicatifs. Mais plus encore, ce sont les décrochages narratifs – qui font fonctionner son film par blocs de récits à l'allure autonome – qui le rapprochent d'un cinéaste comme Apichatpong Weerasethakul.

 

 Mais cette maîtrise esthétique, cette conscience d'un sujet porteur (les dégâts occasionnés sur la nature par la modernisation des villes) laissent un peu en rade les personnages principaux du film. S'il y a à la fois une présence physique réelle, une typologie caractéristique, elles restent immuables : Sudip Mukherjee (Rahul), du haut de son corps massif, n'habite pas assez son rôle, restant sur un plan dépressif unilatéral.

 

 De même, en confiant un rôle à Paoli Dam, icône du cinéma sensuel indien, Jayasundara n'arrive que paradoxalement à la faire exister : si elle apparaît comme une femme forte, libre (elle console Rahul, rentre tard le soir), son personnage reste très peu développé. L'apparition, à deux reprises, d'un homme par la fenêtre venant réclamer de l'argent à Paoli, au lieu d'enrichir le récit, laisse en fait planer la sensation d'une piste narrative pas vraiment exploitée. Dommage.

 

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