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18 mars 2013 1 18 /03 /mars /2013 22:30

 

 

Waad Mohammed dans le film saoudien d'Haifaa Al-Mansour, "Wadjda".

 

 

Wadjda

 

Film d'Haifaa Al-Mansour

 

Avec Waad Mohammed, Reem Abdullah, Abdullrahman Al Gohani, Ahd

 

 Cela aurait pu être quelque chose de douloureux à porter (pour la cinéaste) et à voir (pour le spectateur) : premier film saoudien, qui plus est réalisé par une femme, dans un pays où les premières victimes de l'obscurantisme sont les femmes. Cela aurait pu être un brûlot qui, de s'ancrer dans une réalité tellement identifiable, n'avait besoin d'autre justification qu'affrontée à cette réalité.

 

 Mais la possibilité pour nous de voir "Wadjda" est liée à ce dont au fond, on parle le moins : l'espace d'ouverture dans lequel a baigné Haifaa Al-Mansour. Engloutir des films de tous horizons, étudier à l'étranger grâce à une famille aisée. La condition première de cette réalisation vient de là : fracturer par l'imaginaire un espace clos pour, dans un second temps, mieux s'y accoler et y injecter sa part de création. Faire en quelque sorte coller sa capacité de création à la réalité la plus brute.

 

 L'habileté première de "Wadjda" tient sans doute à un équilibre en somme pas si évident à mener : prendre appui sur une réalité bien définie, identifiable, sur un mode néo-réaliste, et en décoller en l'enrobant sous la forme du conte, pour lui conférer à la fois plus de souplesse et d'universalité, tout autant que pour ne pas se prendre dans les rets de la censure. Cette option rejoint l'approche des premiers films d'Abbas Kiarostami, mais plus largement d'un certain cinéma iranien se coulant dans le moule d'un cinéma néo-réaliste, avec comme point d'appui une critique déguisée des mœurs d'un pays.

 

 Car "Wadjda" a cette légèreté du conte qui fluidifie tout ce qui, avec des thèmes tels que la condition de la femme, appellerait une approche démonstrative. Le caractère nouveau du film incite Haifaa Al-Mansour à y injecter, de manière quasi-sociologique, des éléments destinés à dépeindre la situation des femmes en Arabie Saoudite : ne pas se présenter devant un homme lorsqu'on sert un repas ; recours à une deuxième épouse, lorsque la première ne peut engendrer de garçon.

 

 Toute cette déclinaison qui parsème régulièrement le film pourrait assécher son potentiel narratif en le situant dans un pamphlet anti-wahabitte. La subtilité de la position d'Haifaa Al-Mansour est de rendre compte de cette position en la faisant passer par le filtre du regard de la petite Wadjda, atténuant ainsi toute revendication appuyée au profit d'une fiction qui trouve son régime narratif.

 

 Evidemment, en mettant au premier plan le parcours de Wadjda, en enserrant son film d'une enveloppe stylistique classique, on serait tenté de n'y voir qu'une œuvre au bout du compte assez sage. Mais le véritable intérêt du film perce progressivement, à mesure que l'on s'approche vers la fin. Un glissement s'opère, pour orienter notre intérêt vers la figure de la mère, dont l'actrice prend d'autant plus de sens et d'émotion qu'elle s'oblige à une sorte d'effacement.

 

 En étant évincée par une rivale (cruauté du feu d'artifice lointain, renforcée par le décalage de la femme dans le plan), la mère tend un relais à sa fille, et le don du vélo dépasse la simple satisfaction qui recouvre le visage de Wadjda. Le geste de la mère emblématise, sans fracas ni cris, cette ouverture représentant moins une revendication qu'un simple désir d'existence. Gageons que cette question de filiation - dont on peut imaginer qu'elle parle intimement à Haifaa Al-Mansour - porte à l'avenir la cinéaste vers une approche plus radicale de la réalité, sans passer par le filtre du conte.

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