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23 novembre 2014 7 23 /11 /novembre /2014 21:14

 

 

 

Mommy

Film de Xavier Dolan

Avec Anne Dorval, Antoine-Olivier Pilon, Suzanne Clément



 

  L'entrée en matière de "Mommy", de Xavier Dolan, annonce la couleur, faite d'une saturation du visible : lors d'un accrochage dont est victime Diane "Die" Després (la Mommy du film), la caméra éprouve le besoin d'adopter différents angles de prises de vue, filmant l'accident de plusieurs points, rapidement, comme pour amplifier la déroute spatiale occasionnée par le choc. Cela vient d'une maison, d'un magasin, on ne sait exactement, mais l'intention, pour Xavier Dolan, est bien de répercuter sur le spectateur le trouble de Diane, sa déstabilisation spatiale, physique. Effet renforcé par une musique omniprésente, mais qui, en ce début, se diffracte avec autant de précipitation qu'elle ne s'imposera par la suite, comme un tempo clipesque devant nécessairement accompagner les images.

 Tout l'enjeu est là, formulé d'une manière dynamique et affirmée : faire du spectateur non seulement un témoin de chaque choc visuel inscrit dans les séquences, mais celui sans lequel la fiction ne pourrait être validée. Le capturer et le guider. L'attention que l'on peut alors accorder à "Mommy" repose ainsi sur ce mélange d'attraction et de répulsion. La capture du spectateur, qui l'incite à être un témoin privilégié de la fiction, s'appuie aussi sur un élément non négligeable, on ne peut plus visible : l'adoption d'un format carré.

 Si de prime abord on pourrait trouver ce procédé un peu artificiel, signe d'une volonté d'originalité à tout prix, il s'avère chez Xavier Dolan assez pertinent, si l'on prend en compte le début du film. Il s'agit alors, en resserrant le plan, de canaliser l'énergie débordante initiale pour la rassembler sous une forme intimiste. De la fragmentation initiale, passer à une concentration propice à une maîtrise des effets. Mais qu'on ne s'y trompe pas, cette posture n'empêche pas "Mommy" d'être un film de l'explosion, de l'éparpillement émotionnel, du hoquètement, voire du balbutiement, à l'image de Suzanne Clément jouant le rôle de Kyla.

 Il ne fait pas de doute qu'en concentrant ainsi son intrigue sur trois personnages, Xavier Dolan parvient à nous tenir dans une proximité favorable à une démarche d'identification, mettant en avant la qualité de ses comédiens, en particulier Anne Dorval dans le rôle de la mère. A travers ces échanges qui tiennent en haleine, c'est particulièrement l'utilisation d'une langue québécoise singulière - au point de réveiller certains débats au Canada - qui fait mouche. De par la violence qui en émane, sa perpétuelle mobilité, elle prend des allures céliniennes et participe de la légèreté vibrante du film.

 Pourtant, ces éléments posés, que reste-t-il de "Mommy" quand on s'interroge sur la profondeur des relations entre Steve et sa mère d'une part, et entre le trio dès lors que Kyla s'investit dans ce couple agité ? On peut dire par là que le film ne se départit pas de cette proximité remuante des personnages. Quand on croit que la venue de Kyla va apporter une possibilité de déplacer les lignes de partage conflictuel entre Steve et Diane, ce rôle fait long feu. Trop axé sur la démesure des échanges entre mère et fils, Dolan ne fait pas de l'immixtion de Kyla la matière à faire réellement avancer ses personnages. Il y a bien, par moments, une volonté d'installer un autre tempo, éducatif, dans ce maëlstrom émotif, comme lorsqu'on voit Kyla donner des leçons à Steve, tous les deux assis dans un fauteuil.

 Mais Xavier Dolan n'est pas Abdellatif Kechiche, et l'intérêt que Steve pourrait accorder à l'éducation, la culture, tourne court. Le jeune homme, dans son hyperactivité névrotique, ne peut aucunement envisager son parcours comme un chemin de rémission et d'accomplissement, même en compagnie de Kyla. Et le bégaiement de cette prof en repos forcé sonne chez Dolan comme un aveu d'impuissance à faire de ce personnage un moteur suffisant à propulser la fiction vers un horizon apaisé. Après toute cette effervescence, le film retourne à son point inaugural, après une séquence particulièrement retorse, moment le plus suspensif du film : le trio se retrouve en voiture, jusqu'à ce que Diane s'arrête pour un besoin pressant. Quelques instants s'écoulent, pendant lesquels le spectateur se demande s'il n'est pas arrivé quelque chose à Diane (un suicide ?). Puis, filmé de loin, apparaissent deux, trois hommes, en fait venu chercher Steve.

 Cette séquence, si elle contient par son dispositif une force liée à l'incertitude de son déroulement, confirme à quel point Dolan refuse d'ouvrir son film. Là où la virée en voiture semblait élargir le champ en une perspective joyeuse de réconciliation, on passe à un choix de la mère pour le moins incompréhensible. On a envie de dire alors : tout ça pour ça ? Pour l'enfermement ? Pour la tranquillité de la mère. Et la camisole de Steve n'est que la forme accomplie de cette fermeture du film vers un point de non retour. Après avoir dénié à son personnage la possibilité de créer une relation détendue avec les autres, Dolan finit par le ramener à son point de départ. Le voir immobilisé, réciter sa leçon au téléphone (l'envers de l'intégration d'un apprentissage) renforce l'idée que sa sortie initiale n'avait pour but que de l'exposer comme un animal de foire. Et, en tant que spectateur frustré, on ne peut que l'accompagner dans son geste de révolte finale.

 

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