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12 décembre 2014 5 12 /12 /décembre /2014 17:59

 

 

 

 

 

You are my destiny (Lo stupro di Lucrezia)

 

Spectacle d'Angelica Liddell

 

Avec Joele Anastasi, Ugo Giacomazzi, Fabián Augusto Gómez Bohórquez, Julian Isenia, Lola Jiménez, Andrea Lanciotti, Angélica Liddell, Antonio L. Pedraza, Borja López, Emilio Marchese, Antonio Pauletta, Isaac Torres, Roberto de Sarno, Antonio Veneziano

 

 

 

 On était resté ici sur le précédent spectacle d'Angelica Liddell, "Tout le ciel au-dessus de la terre (le syndrome de Wendy)" avec, en point d'orgue, un vertigineux solo plein de rage et de désespoir. A première vue, "You are my destiny (Lo stupro di Lucrezia)" n'a pas cette intensité ravagée, cette plongée dans les bas-fonds de l'âme. Pourtant, cette revisitation du viol de Lucrèce commence par un récit où Angelica Liddell, assise, - avec force gestes expressifs pour souligner son talent de conteuse -, narre le moment fantasmatique où elle suit un inconnu à Venise.

 

 Venise : l’arrière-plan de "La maison de la force ", repris ici pour conférer, selon l’artiste, une dimension plus douce, plus romanesque à cette dernière pièce. Comme dans "Tout le ciel au-dessus de la terre ", c’est aussi l’occasion de mettre en avant des rencontres, comme celle de ces chanteurs ukrainiens, coeur (et choeur) musical de "You are my destiny". Chaleur des voix qui, dès l’entame, enrobe l’atmosphère d’une adaptation d’une musique de Vivaldi, pour ne plus vraiment se tarir. Sur ce plan, "You are my destiny" est une sorte d’oratorio, avec passages musicaux obligés, rythmé par les tours de force scéniques de la performeuse catalane.

 

 Si au départ persiste une impression d'un spectacle plus calme, elle est d'une part liée à cette attention esthétique (colonnes vénitiennes contribuant à un réalisme architectural), qui fait de certaines scènes de "You are my destiny" de véritables tableaux. Mais, plus encore, c'est la position d'Angelica Liddell qui renforce ce sentiment : engoncée dans sa robe de tulle - à envisager comme un vestige d'une posture romanesque contrariée, envers du statut de la performeuse -, elle se tient au départ dans une position décalée, d'un côté de la scène, assistant à ce qui se passe, même si, dans bien des cas, elle semble diriger des scènes, donnant des indications.

 

 A bien des égards, de par cette position, Angélica Liddell semble assister à un rêve, qu'elle tenterait d'ordonner, soit à distance, soit en s'immergeant pour régler les scènes. Pour cela, il lui fallait une sorte de double, jouée par une comédienne muette, qui la suit comme une ombre pendant un bon bout de temps, avant que Liddell, en un geste radical, ne la livre à une meute d'hommes adossés à un mur, jambes pliées, bouches s'ouvrant comme en manque d'oxygène, mais à vrai dire, traduisant une faim libidinale.

 

 Il y a même des instants où ça flotte véritablement dans "You are my destiny", comme lorsque Liddell, munie d'un smartphone ou d'une tablette, semble réfléchir à la suite à donner à un spectacle lorgnant sur l'improvisation. Mais c'est précisément à partir de là que la pièce, inaltérablement, va s'amplifier, grossir de toutes les potentialités de l’imaginaire de l’artiste catalane. C’est par une hybridation des contenus que se révèle alors la richesse de cet univers. Il suffit de voir comment on peut passer, en quelques instants, d’une scène où une horde d’hommes joue aux percussions, façon tambours de Kodo, à une séquence de flagellation avec des serviettes, telle une cérémonie de l’Achoura, alors que le passage de ces serviettes au sol évoquent un tableau de Gustave Caillebotte. Que dire de la référence avouée à Paradjanov, sensible à travers le port d’un coq par un personnage masqué.

 

 Cet univers référentiel se prête aussi, dans un élan carnavalesque, à de multiples transformations. Les hommes, de virils, revêtent des robes, se dénudent, avant d’enfiler des costumes dignes de prêtres. Et quand Angélica Liddell, débarrassée de sa robe de tulle, arrive à un moment seule sur le plateau comme une âme en peine, on croit qu’elle va se livrer à un solo, comme celui, sidérant, de "Tout le ciel au-dessus de la terre". Mais plus unie, "You are my destiny" contient ce débordement solitaire. Si la présence sur scène de Liddell se traduit alors par nombre de cris, d'éructations, de sentiment de désolation et de solitude, un relais se crée avec les nombreux participants, que ce soient les hommes ou les enfants.

 

 Angélica Liddell donne alors toute la plénitude de ses qualités de performeuse. Il y a surtout cette extraordinaire séquence où elle installe des torchons à terre pour ensuite y piétiner des grappes de raisin, livrant à chaque fois une danse très expressive, animale, en forme d'exorcisme. Elle va jusqu'à endosser le manteau déliquescent d'une officiante voûtée, qui semble ployer sous le poids des ans. Il faut voir, dans ses déplacements, ses gestes des mains, comme des résidus des mouvements de flamenco (qu'elle chante par ailleurs, avec ferveur). Mais cette dérive physique, loin de l'isoler, s'inscrit dans un champ de partage qui la fait aller d'un sujet à l'autre, rapprochant, embrassant, caressant, liant.

 

 Ce vertige de la métamorphose, il est lié à ce frottement incessant entre le profane le plus trivial et le sacré le plus rédempteur (un homme nu évoquant le Christ, quelques instants après, debout à côté du double d'Angélica Lidell, se mue en Adam). Chaque scène de "You are my destiny", à intégrer les éléments les plus hétéroclites, finit par générer une surprise constante pour le spectateur. Orchestrées par Angélica Liddell, qui adopte toutes les positions possibles (spectatrice-actrice), elles créent une perturbation rétinienne qui n'est pas prête de s'éteindre.

 

 

Photos : Brigitte Enguérand

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