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12 avril 2015 7 12 /04 /avril /2015 21:56

 

             Photo :Brigitte Enguerand

 

 

La loi du marcheur

Conçu et interprété par Nicolas Bouchaud

Mise en scène d'Eric Didry




 

 Pour beaucoup, Serge Daney reste une référence. Avec l'éclosion des sites internet, et particulièrement les blogs où l'on peut dévoiler son rapport critique au cinéma, cette figure tutélaire ne s'est pas démentie. Fauché le 12 juin 1992 par le sida, Daney, conscient qu'il allait disparaître, avait tenu à faire œuvre testamentaire, et c'est par l'entremise d'un entretien avec Régis Debray, quelques mois avant sa mort, qu'il l'accomplit. Et cela a donné "Itinéraire d'un ciné-fils", en trois volets, largement accessible de nos jours (Dvd, You tube).

 La singularité critique de Daney, sa profondeur de point de vue sur le cinéma, écloses dans le sillage des cinéastes de la Nouvelle Vague passés par les "Cahiers du cinéma", tient aussi beaucoup à sa parole, que l'on a pu rapprocher de celle d'un griot : étendue, dense, tissée de fictions. Sa qualité littéraire faisait de lui un croisement de André Bazin, fin théoricien du cinéma, et de Roland Barthes. Cette parole riche, on pouvait l'entendre dans "Microfilms", l'une des émissions phares de France Culture. Avec sa collaboration à "Libération", c'est plus particulièrement à  l'objet télévision qu'il s'est confronté. Tâche ingrate a priori, mais qui lui a permis de développer des visions plus élargies sur le monde, en élaborant une théorie sur l'image et le visuel.

 Face à une telle figure qui, dans un parcours final, envisageait (de manière hautaine, pour certains) sa mort comme  concomitante à celle du cinéma, il fallait trouver un angle d'attaque. Celle de Nicolas Bouchaud a le mérite, dans un premier temps, de gommer l'aspect dialogué (entre Daney et Debray) simplement pour ne retenir que la confession. La pièce est une retranscription des paroles du documentaire et, loin d'être infidèle au projet télévisuel, elle se recentre sur la parole du personnage.

 L'humour s'invite très tôt dans cette adaptation. Il est clair que Bouchaud ne cherche pas à endosser le manteau tragique d'un homme malade, sachant qu'il allait mourir (les traits de Daney, alors très émaciés, figuraient cette disparition prochaine), mais au contraire à ranimer une parole vive, en lui restituant son flux vibratoire. Sa première apparition sur la scène, où il vient déposer une bouteille d'alcool et un paquet de cigarettes avant de repartir dans le fond de la salle, suffit à détendre la salle, qui s'attend à un spectacle léger, axé sur la cinéphilie.

 L'autre bonne idée du spectacle, c'est de projeter des extraits de "Rio Bravo" sur un écran bancal, conduisant ainsi Nicolas Bouchaud à investir son corps, jusqu'à mimer, tel un comique burlesque, les postures des acteurs. Ce chef d’œuvre d'Howard Hawks, film de chambre dilaté dans sa durée autant que resserré spatialement, marque un moment particulier du western, une fin d'époque ouvrant sur des perspectives cinématographiques plus modernes. On comprend qu'il soit un film fondateur pour Daney et qu'il concentre, comme pour d'autres critiques, une fascination pour le cinéma et les acteurs américains.

 C'est d'ailleurs en évoquant ces acteurs, en comparaison avec les français (pourtant reconnus comme excellents) que Bouchaud donne au spectacle son allure la plus désopilante. On restera un peu plus réservé sur la réitération de certains personnages télévisuels (Patrick Poivre d'Arvor). Si cette répétition donne l'impression de se gargariser avec un  bouc émissaire, elle masque, au risque de la caricature, le réel travail de Daney, mû par un vrai désir d'ausculter la télé. Et l'épisode concernant Gérard d'Aboville, changeant de mode de représentation au fur et à mesure de ses passages à la télé, en est l'illustration. Mais cette réserve n'empêche en rien "La loi du marcheur" d'être porté par une sincère passion pour le cinéma. Et le choix de Nicolas Bouchaud de faire participer le public (comme à la télé, au fond), témoigne de son souhait de donner un élan salutaire à une figure essentielle de l'univers cinématographique.

 

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