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30 avril 2015 4 30 /04 /avril /2015 21:29

 

 

 

Taxi Téhéran

Film de Jafar Panahi

Avec Jafar Panahi



 


  Il serait tentant de ne voir dans l'Ours d'Or attribué à "Taxi Téhéran" au festival de Berlin, qu'une simple distinction politique, manière de saluer le courage d'un cinéaste qui, malgré l'interdiction de tourner dans son pays, offre cet opus clandestin. Si le courage est en soi politique, il est surtout esthétique, et on veut croire que "Taxi Téhéran", au lieu d'être un pamphlet contre l'intolérance, est avant tout l'oeuvre d'un homme qui conçoit le cinéma comme une respiration essentielle.

 En cela, "Taxi Téhéran" s'éloigne du film d'intérieur qu'était "Ceci n'est pas un film", tourné dans l'appartement de Panahi. Ce film-là, en soi, brasse avec bonheur des dimensions à priori contradictoires : l'intérieur d'une voiture et l'extérieur d'une ville, Téhéran, la capitale de l'Iran. De ce tressage naît un sentiment d'ouverture rare, que l'on ne rencontrait même pas dans un film nocturne comme "Sang et Or". "Taxi Téhéran" est ainsi mû par une pulsion de la rencontre, déterminée à la fois de façon simple et lumineuse par la position de Panahi en chauffeur de taxi, position qui vaut tout autant que celle de maître de cérémonie.

 La force du film tient à l'exploitation d'une donnée essentielle au cinéma : le mouvement. Il vaut tout entier comme métaphore du cinéma : faire défiler une voiture comme on fait défiler de la pellicule ; et que, dans ce déroulement, beaucoup de traces du monde sont captées, capturées, intégrées. Si le film de Panahi renvoie avec évidence au "Ten", de Kiarostami, il s'en éloigne par sa foncière capacité à proposer des éléments multiples, coulés dans une fluidité sans faille.

 Là où la tension (verbale surtout) régnant dans "Ten" confinait à l'étouffement, chez Panahi, on sent une mobilité qui passe par différents éléments, dont le moteur est avant tout l'incertitude quant à la nature de son film. Baignant autant dans le documentaire que la fiction, "Taxi Téhéran" affirme sa nature hybride. Surtout, cette mobilité produit une variété de postures, liées à la différence des corps et des personnages qui investissent le taxi. Il y a particulièrement l'homme qui "reconnaît" Panahi et manifeste pour lui une admiration visible, et dont on verra plus tard son physique particulier. Avec les deux femmes entrant dans le taxi avec leur bocal de poisson, c'est la sensibilité au conte de Panahi qui refait surface.

 Tous ceux qui entrent dans le taxi ne visent pas tant à dresser de manière sociologique des composantes variées de la société iranienne, qu'à faire vibrer les variantes humaines possibles. Un homme qui parle de Dvd clandestins pointe moins un acte de débrouille qu'une ouverture au cinéma (tous les films valent la peine d'être vus, dit Panahi). L'effet-monde, qui appelle, comme dans une cour des miracles, l'aspiration des corps divers dans le taxi, est à rebours d'un autre grand film à l'intrigue située dans une voiture, le "Cosmopolis", de David Cronenberg, avec un personnage principal enfermé dans sa limousine, en butte aux troubles du monde. Il y a encore cette belle figure d'avocate qui, par ses sourires, déleste son discours de sa gravité.

 Auto-réflexif, démontant sans cesse le mécanisme de la mise en scène (déplacements visibles de la place de la caméra, jeu sur la fiction et la réalité), "Taxi Téhéran" n'est pourtant pas un film théorique. Sa part de jeu, qui confine à la jubilation, témoigne de la volonté de Panahi de transformer le tragique en comique. L'auto-dérision y a aussi sa part, qui culmine dans une séquence finale qu'on ne détaillera pas, mais qui asseoit définitivement l'aspect ludique de "Taxi Téhéran".

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