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19 janvier 2016 2 19 /01 /janvier /2016 22:14

 

 

 

 

L'étreinte du serpent

 

Film de Ciro Guerra

 

Avec Jan Bijvoet, Brionne Davis, Nilbio Torres, Antonio Bolivar

 

 

 

 Enveloppé dans un splendide noir et blanc, "L'étreinte du serpent" avait tout pour asseoir une intention esthétique particulière, au croisement de la nostalgie et de l'hommage cinéphilique. Mais on est très vite rassuré : le film de Ciro Guerra, s'il assume son ancrage dans le passé (par son adaptation de carnets de voyages de Theodor Koch-Grünberg et Richard Evans), livre un propos d'une ampleur qui dépasse tout cadre nostalgique. Loin d'un film comme "Tabou" de Miguel Gomes qui non seulement faisait référence à une période révolue (celle du muet), mais inscrivait le parcours de ses personnages dans un cadre mythique, où l'Histoire restait cantonnée dans une bordure rêvée.

 

Le cadre de "L'étreinte du serpent", en s'appuyant sur ce matériau textuel réel – et quand bien même il rappellerait des films d'aventures hollywoodiens -, dépasse très largement toute plongée contrite dans le passé. Précisément parce que ce qui se joue dans le film de Ciro Guerra, à travers les confrontations entre le chaman Karamakate et les deux scientifiques, ce sont des luttes de civilisation qui, quelles que soient les époques représentées, restent vivaces.

 

Le film, avec son cadre contemplatif, soutenu par le rythme dolent des avancées dans une pirogue, installe très vite cette atmosphère curieuse, où la magnificence visuelle n'empêche pas l'irruption d'une violence sourde. La première rencontre entre Karamakate et l'ethnologue Théo, fiévreux, se fait sous cet hospice menaçant lorsque le chaman, ayant vu le blanc, même malade, en compagnie d'un guide, les somme de partir en les tenant en joue de sa sarbacane, qu'on imagine aisément empoisonnée. Bon nombre de rencontres se font sous cet angle menaçant, où les regards produisent une suspicion irrémédiable.

 

Quelle que soit l'époque abordée, rendue par des allers-retours au centre desquels figurent Karamakate et les deux scientifiques, le film avance avec cette fonction déceptive où chaque rencontre révèle son potentiel d'inquiétude : quand Karamakate et Théodor Koch-Grünberg arrivent devant une mission, c'est pour s'exposer à l'accueil au fusil d'un missionnaire. Plus tard, le même chaman vieux, en compagnie de Richard Evans découvre un illuminé, engoncé dans une enveloppe christique, sorte d'incarnation de gourou de sectes des plus contemporains.

 

Avec ce temps cyclique dans lequel se meuvent les personnages, on le voit, point de nostalgie, mais l'aliénation à la répétition du même. Si la mémoire fait défaut chez Karamakate, au point de renvoyer sans cesse Evans à sa propre recherche, c'est moins pour se complaire dans une sorte d'oubli que pour laisser le temps faire son œuvre. Personnage paradoxal, fascinant, à la fois hors du temps, mais habile à ouvrir la conscience des autres, à la fois spectateur (c'est au fond lui qui est conduit vers son peuple qu'il croyait exterminé) et nécessairement conducteur (il arrache ses compères du chaos engendré par le prophète fou).

 

Ainsi, "L'étreinte du serpent" est à la fois un film qui, par les déplacements de ses personnages, leur quête utopique, dessine des trajectoires, ouvre des horizons mais qui, dans son avancée, spatiale et temporelle, opère un repli. Impulsé par Karamakate, un repli qui fait figure de sagesse.

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