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29 novembre 2016 2 29 /11 /novembre /2016 18:19

 

 

 

Sufiana Kalam du Cachemire

 

Par le Sasnawaz Brothers Sufiana Group

 

Shabir Ahmad Saznavaz (chant et santur)
Mushtaq Ahmad Saznavaz (chant et saz-e-kashmiri)
Kaiser Mushtaq (chant et setar)
Manzoor ul Haq (chant et setar)
Mohammad Rafiq Saznader (tabla)

 

 

 A l'heure des crispations religieuses, voire arriver un groupe dans une église relève moins d'un défi que d'un désir de partage. Ils cherchaient un endroit "pur" pour s'exprimer, et c'est l'église Saint-Roch qui leur a permis de dispenser cette forme musicale particulière qu'est le Sufiana Kalam, style soufi basée sur la pratique chantée de poètes mystiques, persans ou cachemiris. Eux, ce sont les Sasnawaz Brothers, groupe principalement composé de fils et petits fils de Ustad Ghulam Mohammad Saznawaz, maitre du Sufiana Kalam.

 

 Si en France, la musique soufie a été popularisée par l'entremise du Qawwali, on le doit au fameux Nusrath Fateh Ali Khan, qui avait porté cette expression mystique à un rare degré d'expressivité et de partage, abolissant les frontières locales pour les rendre universelles. Avec le Sufiana Kalam, on est loin, très loin, de cette exaltation vocale, poussée par un chanteur, et auquel le groupe répond sur un mode responsorial. Dans le Sufiana Kalam, la mise en avant de l'individualité semble totalement bannie, les chanteurs s'exprimant de manière chorale, aucune voix ne prenant le pas sur une autre. C'est à peine s'il y a quelques décalages dans l'expression. Tout fusionne au profit d'une harmonie d'ensemble.

 

 Étonnante musique, invitant évidemment à la méditation, tant son manque de heurts, sa structure appellent à un équilibre constant. Conçue comme une suite (typique des modes musicaux du genre maqam, essaimant de l'Asie centrale jusqu'à l'Iran), les morceaux s’enchaînent, avec une accélération supposée à peine perceptible pour une oreille novice.

 

 Si le Sufiana Kalam est un genre très intime, voué à l'expression confidentielle (ce qui représente un risque pour sa survie, surtout en temps d'intolérance), son esthétique vocale puise dans une échelle géographique très large, et les instruments utilisés témoignent d'une influence variée, remontant à l'ouverture aux confréries soufies de Perse et d'Asie Centrale. S'il y a bien des setar dans le groupe, ceux-ci sont très différents de ceux utilisés dans la musique savante iranienne, et lorgnent plutôt par leur forme vers les grand luths d'Asie Centrale, tel les dotar ou sato (dont l'ouzbek Turgun Alimatov était l'un des très grand interprètes). La vièle à pique saz-e-kashmiri est d'évidence proche du kamantché, également perse, tandis que le santur, devenu un instrument soliste de premier plan en Inde, sous les doigts du grand Shivkumar Sharma, était depuis longtemps ancré dans la sphère cachemirie. Et si le tabla (ici appelé dokra) est également indien, la provenance multiple de ces instruments n'en permet pas moins au Sufiana Kalam de conserver une spécificité sonore le rendant rare et précieux.

 

 En matière de référence, et malgré le ton généralement dolent du Sufiana Kalam une autre musique d'Asie Centrale nous vient à l'esprit en l'écoutant : le mugam des Ouïgours, peuple musulman du Xinjiang. Si, contrairement au Sufiana Kalam, la musique Ouigoure se signale par un style assez nerveux, exalté, le chant choral collectif évoque cette ambiance dé cérémonie. Là ou chez les Ouïgours, les voix essentiellement masculines s'élèvent vers des mélismes confinant à une forme d'ivresse, le Sufiana Kalam garde ce ton recueilli, invitant à l'intériorité. Que les Sasnawaz Brothers figurent parmi les derniers représentants de ce style cachemiri, c'est ce qui rend d'autant plus émouvante l'écoute de leur musique.

 

 

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