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15 mars 2018 4 15 /03 /mars /2018 00:07

 

 

 

La caméra de Claire

 

Film de Hong Sang-soo

 

Avec Isabelle Huppert, Kim Min-hee, Chang Mi-hee, Jung Jin-young

 

 

 

 Dans le cinéma de Hong Sang-soo, on sait la place qu'occupe la rapidité de tournage. Ses fameux zooms avant très voyants, symboles d'une certaine forme de spontanéité visuelle, sont là pour renforcer cette impression. Mais avec "La caméra de Claire", Hong Sang-soo franchit un pas supplémentaire dans sa façon de capter l'air ambiant, en dehors de toute donnée programmatique, puisque le film a été tourné en une semaine à Cannes, alors qu'il venait y présenter "Le jour d'après".

 

 Appréhendée sous l'angle des sorties françaises, la vitesse de tournage de Hong Sang-soo brouille d'autant plus les pistes que "La caméra de Claire", conçu entre les deux films précités, sort en fait en dernier. Manière de signifier que cet opus court (1h10) serait à envisager comme une forme volatile, à part, difficile à raccrocher à l’œuvre du cinéaste coréen.

 

 Certes, "La caméra de Claire", à l'image du premier film faisant état de la collaboration avec Isabelle Huppert (In another country), apparaît comme une parenthèse récréative purement loufoque, où on est loin de retrouver les vertiges narratifs habituels, à coups de percées oniriques ou de déstabilisations temporelles. A certains égards, le film, qui met en son centre la rencontre entre Manhee (Kim Min-hee) et Claire (Isabelle Huppert), préfigure le début de "Seule sur la plage la nuit", qui met en présence deux femmes aux tempéraments différents, en tout cas au regard de leur perception du désir.

 

 Mais la matière clivante de ce précédent film (séparation mélancolique d'un espace d'appartenance sous forme de rejet amoureux) prend ici un tour beaucoup plus consensuel en soi. Entre Claire et Manhee, deux figures foncièrement étrangères l'une à l'autre, tant culturellement que par la langue, tout est fait pour que la rencontre se fasse sous les meilleures hospices. Tout y est envisagé sous l'angle de l'accord, comme si les deux femmes étaient exactement pareilles, jusqu'à ce que Manhee emmène Claire chez elle pour lui préparer à déjeuner.

 

 Ce lien fluide digne de conte de fée ne masque pas pour autant les failles de la narration, les béances qui cernent les personnages : Manhee, congédiée par sa patronne, n'obtiendra pas d'explication sur ses motivations – et pour autant, elle n'en demandera pas vraiment. Le trio coréen du film, matière essentielle dans les récentes fictions de Hong Sang-soo, est ici livré sous une forme solitaire, moins mélancolique que "Seule sous la plage la nuit". Personnages distribués comme des pions se retrouvant à Cannes, et que Claire, avec sa fonction métaphorique de révélateur photographique, est chargée de rassembler, renforçant l'allure de conte du film – on notera par ailleurs la traduction saugrenue du titre, puisque la "caméra" en question est le mot anglais pour désigner un appareil photographique.

 

 Plus apaisé, foncièrement orienté vers une forme éclatée et diffuse, "La caméra de Claire" ne contient pas cette tension des grands films de Hong Sang-soo, se produisant généralement lors des scènes de beuverie propices à une levée des inhibitions. Ici, la phase d'effervescence maximale se produit lors d'une scène fantasmatique, quand Manhee est rejointe par le cinéaste, qui l'accable de reproches sur sa façon de s'habiller (elle porte un short). Moment improbable, qui maintient là encore Manhee dans une position passive, sans réaction (comme elle l'était déjà devant la femme du cinéaste). Une passivité à envisager comme le prélude du personnage de Younhee dans "Seule sur la plage la nuit", où l'abandon et l'impossibilité de garder le contrôle de son existence la déplace vers une zone d'indétermination mélancolique.

 

La légèreté apparente de "La caméra de Claire", son caractère de brouillon, pris entre deux films, n'en contient pas moins des enseignements passionnants sur le cinéma de Hong Sang-soo, traversé par d'irrésistibles moments de grâce.

 

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