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21 janvier 2019 1 21 /01 /janvier /2019 22:41

 

Avec "The scarlet letter", adapté de Nathaniel Hawthorne, la metteuse en scène et performeuse Angelica Liddell propose un nouvel opus sulfureux, où la provocation côtoie une esthétique splendide. Un spectacle qui ouvre, à travers un hommage à Antonin Artaud, sur une veine anti-MeToo.

   

    photo © Simon Gosselin

 

The scarlet letter

 

Texte, mise en scène, scénographie, costumes et jeu Angélica Liddell

 

Librement inspiré de l’œuvre de Nathaniel Hawthorne


Avec Joele Anastasi, Tiago Costa, Julian Isenia, Angélica Liddell, Borja López, Tiago Mansilha, Daniel Matos, Eduardo Molina,  Nuno Nolasco, Antonio Pauletta, Antonio L. Pedraza, Sindo Puche

 

 

 Dans le champ théâtral contemporain, le souffle créatif d'Angélica Liddell devient la promesse d'un engagement artistique total. Si l'autrice et metteuse en scène catalane s'inscrit dans une filiation vivante d'auteurs sulfureux – on ne peut s'empêcher de la situer aux côtés des Roméo Castellucci, Jan Fabre, Rodrigo Garcia - la singularité de son univers tient à sa présence puissamment immersive dans ses spectacles.

 

 Avec « The scarlet letter », Angelica Liddell prend appui sur le fameux texte de Nathaniel Hawthorne, en en détournant complètement la mouture pour composer un stupéfiant ballet mystique. Et comme d'habitude, elle se déplace sur scène à la fois comme une officiante, régulant le flux des corps (ici des hommes nus pendant tout le spectacle), tout en s'accordant des moments de retrait, comme si il lui fallait être en décalage pour mieux laisser la mise en scène atteindre un degré d'incandescence lié au feu créatif qu'elle aurait allumé.

 

 Il faut dire que dès l'entame de la pièce, la lettre A – cette lettre infamante plaquée sur la robe d'Hester pour avoir eu une relation adultère – Angelica Liddell la revendique comme telle, puisqu'au fond de la salle s'affiche en grand : A = Angelica. Une imprégnation qui n'est pas tant le reflet d'un appropriation narcissique qu'elle ne vise à une prise en charge totale de la douleur d'un personnage. Liddel, de prime abord, inscrit en elle les stigmates du personnage, à l'image de ce vêtement déchiré révélant son dos telle une plaie à vif.

 

 En se glissant dans la peau d'Hester, Liddell inscrit son parcours dans un cheminement mystique. Mais si elle endosse l'état de douleur confinant à l'hystérie qui caractérise les grandes figures mystiques, elle opère un changement radical, donnant à son personnage des résonances surprenantes. C'est tout d'abord en prêtresse qu'Angélica Liddell évolue sur la scène, affublée d'un cortège d'homme nus. Ceux-ci évoluent comme dans une comédie musicale, à coups de figures bien rodées, où l'aspect chorégraphique le dispute à la reproduction de postures picturales (là une torsion de bras, là une position aussi peu réaliste qu'affectée). Un comédien noir, comme une émanation des fantasmes de Liddell, traverse la scène, tandis qu'un pasteur, visage masqué, déverse de temps en temps les affres de ses doutes. Et si les scènes avec les hommes, dans leur allure de ballet, deviennent un peu répétitives, elles n'en contiennent pas moins ce degré d'insolence lié aux postures pour le moins graveleuses, tous organes dehors.

 

 Liddell va jusqu'à conférer à sa position de prêtresse une aura de dominatrice, en saisissant dans ses mains des sexes d'hommes, où en prenant un dans sa bouche. Mais l'autre posture de la metteuse en scène passe par un renversement névrotique : elle offre son propre sexe au doigt d'un des hommes, puis, l'un après l'autre, ils défilent devant elle, agenouillée, en mimant l'acte d'uriner dans sa bouche.

 

 Liddell pousse le bouchon jusqu'à montrer une autre facette de son rapport au monde,en basculant du côté de la souffrance pure. La pièce, jusqu'alors, traversée par des références picturales innombrables (Velasquez, la renaissance italienne), donnait l'impression d'être ancrée dans un moule esthétique intemporel. Visuellement "The scarlett letter" est splendide, et cette beauté plastique contribue au charme de la pièce, malgré ses percées provocatrices.

 

 La pièce bascule lors d'un épisode central, en opérant une transposition du malheur d'Esther vers une représentation contemporaine des femmes. Là, dans un monologue sulfureux dont elle a le secret, aussi intense que vindicatif, Liddell s'en prend à l'ère MeToo, en chargeant les femmes avec une exagération qui rend chaque parole hilarante. Il est clair que la metteuse en scène, dans cette salve rugueuse et décomplexée, favorise l'épanchement du plaisir, à l'encontre de toute morale."The scarlett letter" égrène des figures masculines comme seul horizon idéal, et c'est particulièrement la figure d'Antonin Artaud qui apparaît, jusqu'au final.

 

 A cet égard, un monologue du pasteur fait directement référence au rapport à la maladie qu'entretenait Artaud, qu'il tentait de dépasser en l'inscrivant dans une sorte de maîtrise. Éloge de la douleur, du désir, critique de la frilosité morale, "The scarlett letter" est tout cela à la fois, et pris dans la machine provocatrice de Liddell, il devient un moment aussi épatant que déstabilisant.

 

 Il y a bien des passages gênants dans l'approche de Liddell, en particulier lorsque le grand comédien noir, nu à son tour, est vu comme une sorte de zombie que Liddell appelle de ses désirs (elle se roule presque à terre, frappe sur ses fesses). Représentation caricaturale, s'il en est, en ce qu'il enferme cette figure jusqu'à là silencieuse dans un topos essentialiste assez douteux. Mais cet inconfort, allant dans le droit fil d'une critique du puritanisme, jette une lueur définitivement troublante sur ce spectacle au goût de souffre.

Du 10 au 26 janvier, au Théâtre national de la Colline

 

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