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17 avril 2019 3 17 /04 /avril /2019 14:44

Le spectacle de Nina Santes part de la figure de la sorcière, à la mode actuellement, pour plonger le spectateur au cœur d'une dynamique où sons, lumières et chants dessinent un territoire foisonnant. 

 

Hymen hymne


 

Spectacle de Nina Santes


 

Création et interprétation Soa de Muse, Nanyadji Ka-Gara, Nina Santes, Betty Tchomanga et Lise Vermot

 

 

 Il y a d'abord, dans l'approche de « Hymen hymne », une surprise : celle d'être, en tant que spectateur, bousculé dans ses fondations. Une voix s'élève, au milieu de la foule s'amassant dans l'entrée. Celle de Nina Santes, la chorégraphe, qui invite tout le monde à se délester de sacs et manteaux en entrant dans la salle. Puis à venir se glisser sur la scène.


 

 Là, des feuilles implacablement alignées sur le sol les attendent. Y figurent des indications précises, donnant le ton du spectacle, en forme d'engagement « Comment pleurer les morts », « Comment venir à bout du patriarcat »,  « Comment faire disparaitre le mot sorcière du vocabulaire dominant ». Précisément, parmi les dizaines d'inscriptions témoignant d'une démarche volontariste de changement, le mot sorcière doit être considéré comme l'emblème du spectacle. C'est lui qui en imprime la tonalité à la fois mystérieuse et secrète.


 

 Si le dispositif des feuilles finit par se volatiliser (les spectateurs, avides d'acte, s'approprient petit à petit les formules, comme pour se faciliter les déplacements sur la scène), c'est aussi l'aspect programmatique de « Hymne hymen » qui vole très vite en éclats. Quand bien même il y aurait une figure prédéfinie, qui connait un regain d’intérêt, à l'ère des revendications féministes, Nina Santes et ses performeurs s'appliquent à en redéfinir les contours au travers d'une sorte de rituel, qui n'est pas sans évoquer celui d'une Lia Rodrigues dans « Furia ». A cette différence près que la pièce de la chorégraphe brésilienne procédait par une amplification d'énergie débridée, là où celle de Nina Santes s'appuie sur une distorsion constante, fondée sur la combinaison d'éléments tout à tour volatiles et solidement incarnés.


 

 A cet égard, « Hymne hymen » a cette faculté de nous transporter vers des sphères lointaines, en reconstituant une atmosphère où sons et lumières nous projettent vers une indétermination spatiale et temporelle. Si la pièce met en jeu des physiques marquants, divers, c'est surtout par l'utilisation des chants qu'elle frappe au départ. Des chants moins destinés à tisser une mélodie continue qu'à installer une atmosphère singulière, enveloppant littéralement le spectateur : les performeurs tournent autour d'eux, s'approchent de leur visage, et le chant qui s'y déploie alors tient à la confidence chuchotée, à l'envoutement sonore. Une partition vocale soignée, sans virtuosité, mais qui serait comme la trame participant d'une enveloppe venant tapisser la scène du théâtre. Rituel chanté qui n'est pas sans évoquer celui d'un "Stimmung", l'une des œuvres phares de Karl-Heinz Stockhausen.


 

 Mais "Hymen hymne" ne se contente de nimber le spectateur de sons, de cris. L'utilisation de la lumière y est tout aussi forte, contribuant à rendre parfois impalpable la présence des corps. On y voit des danseurs s'éclairer le visage avec une lampe, pour parfois se retrouver subitement devant un spectateur, à son insu. Dans une superbe scène, une danseuse, éclairée par une comparse, avance en tenant une sorte de miroir souple sur laquelle se projette son reflet. Pratique évoquant une magie visuelle typique des défilés carnavalesques. Tout dans la pièce reflète cette volonté de donner à chaque mouvement, chaque scène, une puissance d'affirmation des êtres.


 

 Que les corps des performeurs soient pris dans un mouvement d'ombre et de lumière n'empêche pas "Hymen hymne" d'être une pièce très incarnée physiquement, jusqu'à atteindre une dépense frénétique vers la fin, sous forme de célébration. Le corps de Soa de Muse, après que celui-ci se soit lancé dans une longue prestation envoutante, se place, couché, au centre de la scène, tandis que performeurs et et quelques spectateurs le recouvrent de tissus de toutes sortes. Les feutres utilisés donnent alors à la pièce une allure digne d'un Joseph Beuys.


 

 Loin d'être un spectacle mortifère, "Hymen hymne" témoigne d'une grande générosité dans le tissu de relations qu'il créé, entre performeurs ou avec les spectateurs. Sa mobilité constante amène à attribuer aux objets une identité multiple (des barres translucides, au départ réceptacles de lumière, deviennent des instruments de musique). Cette volonté de doter les éléments présents sur scène de fonctions diverses lui donne ainsi l'allure d'un organisme en perpétuelle transformation.

 

Au Théâtre de la Bastille, du 15 au 18 avril

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