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27 octobre 2020 2 27 /10 /octobre /2020 22:40

 

Avec "Never fear", Ida Lupino livre une fiction troublante en plongeant sa comédienne principale, Sally Forrest, au Kabat-Kaiser, un fameux institut consacré au traitement d'handicapés.

 

 

 

Never fear (Faire face)

 

Film de Ida Lupino

 

Avec Sally Forrest, Keefe Brasselle, Hugh O'Brian, Eve Miller, Lawrence Dobkin

 

 

 

 En une sorte d'inversion que l'on peut se représenter sous forme de chiasme (croisée donc)," Never fear" remet en selle deux des comédien.ne.s principaux de "Not wanted" (Avant de t'aimer), Sally Forrest et Keefe Brasselle. Dans ce dernier film, Brasselle, dans un rôle sensible, pudique, s'approchait timidement de Sally Forrest, complexé par une jambe raide, mais son infirmité n'était pas au bout du compte un frein pour mener à bien son désir (voir la séquence finale où il la poursuit dans une course haletante, dépassant son handicap jusqu'à l'épuisement). Dans le retournement des rôles induits par "Never fear", Carol Williams (Sally Forrest), danseuse subitement atteinte de poliomyélite, pousse le complexe d'infériorité, de dévalorisation de soi, à un degré tel qu'elle repousse l'amour sincère de Guy Richards (Keefe Brasselle). Il faut voir ces scènes de rejet poussé à un degré d'intensité qui se résolvent en cris de sa part. Une théâtralité excessive, surprenante par le décalage entre les deux amants.

 

 Poussées de fièvre d'autant plus surprenantes que le film, dès son ouverture, témoigne de sa veine réaliste en affichant dans un encart la vérité de l'histoire, tourné au Kabat-Kaiser, célèbre institut de rééducation d'handicapés à Santa Monica. "Never fear" tire son intérêt de cette dimension quasi documentaire, où l'on assiste à de longues scènes de rééducation, Sally Forrest, étant très convaincante dans les différentes scènes où elle fait l'objet de soins kinésithérapiques. C'est que, au milieu de vrais handicapés, dont bon nombre en fauteuil roulant (adultes comme enfants), la confusion des corps créé un réalisme troublant.

 

 Ce approche quasi-documentaire jette une lueur particulière sur la friction entre véracité et pure fiction, quand on voit le médecin accueillant pour la première fois Carol Williams, l'encourageant à persévérer en lui montrant sa main, dont on voit les séquelles d'une maladie qu'il a réussi à surmonter. C'est dans la même scène qu'un mouvement subit, quasiment grotesque, surgit : le médecin (docteur Middleton) sort un paquet de cigarettes et, le tendant à Carol Williams, lui demande "Cigarette ?". Qu'une proposition pareille, naturelle et banale dans n'importe quel film noir américain, prenne ici un caractère saugrenu, dit bien comment l'inscription d'un réel documentaire avait dès lors prise sur le spectateur.

 

 À l'opposé, une autre très belle séquence traduit ce maillage réussi entre modalités fictionnelle et documentaire : Carol est invitée à danser par un des résidents de l'Institut, qui se déplace en fauteuil roulant. Elle croit à une moquerie, mais dans la scène suivante, on assiste tout simplement à un ballet de patients en fauteuil roulant se livrant à une chorégraphie bien huilée, faite de figures savantes, où l'on passe d'un partenaire à l'autre, véritable ronde suscitant l'ivresse des participants. Carol est prise dans ce vertige de mouvements, sa maladresse ne l'empêchant de s'y insérer avec bonheur. La réapparition alors de Guy, en coulisse, interrompant ce flux idyllique, réinstallant la narration sur les rails de la pure fiction, tout en renforçant tout à coup un décalage de position, confortant le désir de Carol de ne plus appartenir à son univers à lui, mais à celui, réel, de l'Institut. Manière de vouloir marquer le passage de la jeune femme d'un corps d'actrice à celui d'un corps souffrant de véritable handicapé. C'est cette greffe d'un corps entre réalité et fiction qui rend "Never fear" si passionnant.

 

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