Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
13 septembre 2021 1 13 /09 /septembre /2021 13:30

Dans "Let it burn", solo aussi intense que politique de Marcela Levi et Lucia Russo, la danseuse Tamires Costa engage son corps dans une série de mouvements visant à défaire les représentations caricaturales.

 

 

 

Let it burn

 

Spectacle de Marcela Levi et Lucía Russo

 

Avec Tamires Costa

 

 

 De « Let it burn », on ne penserait pas, à priori que, derrière sa durée courte (40 mn), viendrait s'y loger toute une panoplie de références. Et pour le public novice, une course à l'identification des sources risquerait de le faire passer à côté du spectacle, tant sa dynamique enfiévrée, son intensité frénétique appellent une adhésion immédiate.

 

 Thelonious Monk, Dizzy Gillespie, Joséphine Baker, Valeska Gert, Macunaíma, Grande Otelo, Jorge Ben Jor, Mc Carol, Michael Jackson, Nina Simone et Woody Woodpecker. Si toutes ces références, entre figures célèbres de jazz et star de la pop peuvent faire croire à une approche intellectuelle, force est de constater assez rapidement que la pièce de Marcela Levi et Lucía Russo dépasse d'emblée ce cadre référentiel, à bien des égards écrasant. Tamires Costa, avec qui a été conçu le spectacle, logée dans un coin de la salle, quasiment à l'entrée, dans la présence du public qui entre, confère de prime abord à « Let it burn » un élan de spontanéité frémissante, comme si on entrait dans un spectacle en cours.

 

 Et ce qui frappe, à peine est-on assis, c'est bien la cohérence du corps de Tamira Costa, prise entre expressions convulsives et mimiques bouffonnes. Et si, à mesure qu'elle gagne le centre de la salle, une fois la pièce réellement lancée, des références évidentes sautent aux yeux, sur fond de musique percussive détonante, c'est l'aspect politique de « Let it burn » qui marque. Car le corps de Tamires Costa fonctionne ni plus ni moins que comme un lieu de convergence, pulsionnelle, traversée par les références musicales ou chorégraphiques. Si sa chevelure renvoie à celle de Nina Simone, une des plus grandes créatrices de jazz, ses yeux écarquillés, louchant souvent, miment complètement le personnage de Josephine Baker.

 

 A l'heure où la danseuse-chanteuse, militante, résistante, est entrée au Panthéon, cette incarnation par Tamira Costa de certaines de ses postures renvoyant à ses débuts rend compte de la la complexité d'une artiste devenue célèbre par sa capacité à mimer des stéréotypes liés à la représentation des Noir.e.s.

 

 La force de « Let it burn », en cela repose sur cette capacité à créer une déflagration visuelle, à convoquer les figures caricaturales, simplement par la force de la citation, parfois par touches progressives (comme le fait pour Tamira Costa de faire à plusieurs reprises le geste de se mettre du rouge à lèvres, jusqu'à ce que, peu avant la fin, les lèvres grimées en blanc, restitue cette image caricaturale déjà portée par Joséphine Baker).

 

 Lieu de conjonction de postures contradictoires, entre danses lascives brésiliennes (typiques du carnaval ou de la samba), le corps de Tamira Costa « sample » littéralement des differentes strates chorégraphiques, dans des mouvements convulsifs. Entre phases ludiques (elle s'asperge d'eau là où l'on croit que dans la chaleur étouffante de la salle, elle va se rafraichir) et élans frénétiques, son corps dessine une cartographie historique où la brieveté des citations (le moonwalk de Michael Jackson) le dispute à une tension jamais démentie.

 

 Et comme souvent dans ces manifestations non européennes où le corps est sollicité à l'extrême, « Let it burn » prend un tour de rituel de possession quand Tamira Costa, immobile, éructe jusqu'à projeté des crachats vomitifs. Instant inconfortable, mais qui en dit long sur cette volonté d'expulser les identités corporelles figées. Cette partie dérangeante est par ailleurs constamment atténuée par la relation que la danseuse entretient avec le public, entre séduction (établir un contact avec le poing fermé) et révérence (ployer son corps devant les personnes avec qui ce contact a été réalisé). Si « Let it burn » est un spectacle politique, critique, la vivacité et la dépense prodigieuse de la danseuse, loin de le figer dans une rigidité discursive, laisse trainer une flamme palpitante.

 

Au Théâtre de la Ville - Espace Cardin, du 8 au 12 septembre

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Blog De Jumarie Georges

  • : Attractions Visuelles
  • : Cinéma, théâtre, danse contemporaine, musique du monde, voyages
  • Contact

Recherche