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17 février 2012 5 17 /02 /février /2012 16:50

 

 

 

 

 

 

 

Duch, Le Maître des Forges de l’Enfer

 

Film de Rithy Panh

 

 

 Se pose avec "Duch, Le Maître des Forges de l'Enfer", la question cruciale, éminemment cinématographique, de la place de la caméra. Comment filmer, près de deux heures durant, le monstre de S21, grand orchestrateur du massacre de milliers de gens ? Comment appréhender ce visage la plupart du temps filmé en gros plan d'où percent de profonds yeux noirs, qui semble encore brûler de l'intensité de l'horreur ?

 

 Assis à une table, muni de documents photographiques qu'il commentera tout au long du film, Duch paraît petit, ce qu'il est en effet quand il est vu plus tard accompagné par des gardes - les cambodgiens, en soi, sont plutôt de petite taille. C'est que la caméra fixe, qui prend en charge son cadrage, le surplombe légèrement, dans une plongée discrète. Duch, que ce soit en gros plan ou en plan moyen, lorsqu'il parle, lève la tête pour ajuster son regard à la caméra. Y aurait-il, dès l'abord, une intention de la part de Rithy Panh - en partant de sa position de cinéaste -, d'abaisser le tortionnaire, de faire en sorte qu'il quémande l'oeil de la caméra pour s'exprimer ? C'est fort possible, si l'on pense que le travail d'un cinéaste tel que Panh repose sur une quête vivace, pour faire sourdre les vérités relatives au génocide subi par ses compatriotes.

 

 Il faut dire que l'entreprise consistant à filmer un monstre, si elle doit être douloureuse pour le cinéaste, n'est pas de tout repos pour le spectateur, quelque soit la distance qu'il adopte face à cette confession. Car il y a risque pour tous, à écouter les propos d'un homme cultivé, qu'on voit lire Stéphane Hessel, citant Alfred de Vigny, ainsi que des passages entiers de Marx par coeur, en français. A ce propos, ces citations attestant encore d'une maîtrise, sont extrêmement parlantes : il suffit d'un léger dérapage dans la citation pour qu'il se reprenne. Pas de place pour l'erreur. Conscience aiguë de la faute à gommer qui rejoint, avec une ampleur horrifique, sa manière d'organiser l'efficacité des tortionnaires qu'il a formés.

 

 L'homme avoue sans vergogne ses qualités à l'école, le fait qu'il était le premier de sa classe, comme s'il y avait une justification sous-jacente au fait de parvenir à la tête d'une machine de mort. Par extension, il en arrive à parler d'une de ses institutrices, torturée à S21. On pourrait s'attendre à ce qu'il en fasse l'éloge, ne serait-ce que discret - car elle a dû jouer un rôle dans son éducation, sinon pourquoi en parlerait-il ? -, mais fi ! Il préfère insister sur le tortionnaire en question qui n'a pas respecté le protocole de torture. Ni compassion, ni hommage, mais, encore et toujours, respect de la règle et obsession de la hiérarchie.

 

 Dans "Duch, Le Maître des Forges de l’Enfer", il n'y a de respiration que purement esthétique. Echapper au visage de Duch, à sa confession implacable, c’est plonger vers les images d’archives ou de reconstitution dont Rithy Panh a déjà fait usage précédemment. A cet égard, le début du film, où Duch apparaît dans sa cellule, est quelque peu trompeuse : on entend en même temps la voix de Pol Pot, qu’on sent prise dans une grand vague propagandiste, avant que les images d’archives ne révèlent réellement le personnage en pleine gloire souriante, lié à l'ampleur conquérante du régime khmer rouge. Rithy Panh, dans cette confusion inaugurale, au lieu de séparer passé des archives et présent de la réalité physique d’un homme en prison, les mêle inextricablement, comme si la seule présence de Duch suffisait à déclencher la voix puis les images de Pol Pot. Le passé, indélébile, quand bien même on tenterait de l'écarter, de le refouler, traîne encore avec lui le signe vivant de sa terrible réalité.

 

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