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1 mars 2010 1 01 /03 /mars /2010 10:11
 
 
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 La rivière de boue
 
Film de Kohei Oguri (1981)
 
Avec Nobutaka Asahara, Takahiro Tamura, Yumiko Fujita, Minoru Sakurai  
 
"Qui nous a donné la gomme pour effacer l'horizon ?" (Friedrich Nietzsche)
 
 
 Avec le souvenir de "L'aiguillon de la mort", primé au festival de Cannes en 1990, la vision de "La rivière de boue", le vendredi 26 février à la Cinémathèque, a de quoi surprendre. Film en noir et blanc, situé en 1956, la copie de qualité moyenne accentue l'impression de se trouver face à une œuvre des années 50. Passéisme ? Nostalgie cinéphilique ? Volonté, à travers ce reflux historique, de relancer un moment du cinéma alors que la production japonaise était sinistrée au début des années 80 ? En tout cas, Kohei Oguri a pour lui la légitimité d'être né en 1945 et d'avoir été contemporain des personnages et évènements dont il parle, particulièrement des enfants - la situation historique est par ailleurs analogue avec "L'aiguillon de la mort", bien que ce film, sur un plan esthétique, se situe sur un plan très différent, plus radical. 
 
 En relatant la rencontre de Nobuo, 9 ans, avec Kiichi, arrivé avec sa soeur et sa mère sur une péniche, Oguri livre, dès son premier film, une oeuvre pour le moins sombre. Dans le Japon d'après-guerre, il n'y a pas beaucoup d'espoir qui filtre. Les parents de Nobuo, propriétaires d'un restaurant, font tout pour rendre la vie de leur fils agréable. La chaleur du père, incitant son fils à rester au lit à la moindre fièvre, rend touchante l'interprétation de l'acteur Takahiro Tamura. La mère n'est pas en reste, dans son déploiement incessant de sourires, mais on sent que cette posture relève plus de la gesticulation polie. Le sourire s'impose face au désespoir.
 
 Cette attitude positive des parents n'atténue pas pour autant la tonalité généralement déprimante du film. Surtout, c'est le poids tragique porté par les enfants qui accentue un climat étouffant. Si le film peut, de par la présence de ces enfants, évoquer Ozu, il s'en éloigne par son ton globalement dépressif. L'entrée en matière de Nobuo dans le restaurant, qui réclame, à cause de la chaleur, un gâteau tiède plutôt que chaud, en dit long sur le degré de lucidité qui lui est affecté. Tout le film devient dès lors un enchaînement de faits où les enfants en portent vraiment lourd sur les épaules, au point que l'on peut dire que cette charge, généralement dévolue aux adultes, est déplacée chez Oguri. Elle en affecte leur positionnement corporel : invité avec sa soeur chez Nobuo, Kiichi, qui peine à assimiler les bonnes manières, finit par s'engoncer en lui-même, la tête profondément courbée, telle un oiseau tentant d'échapper à un danger.
 
 Les gros plans sur le visage de Nobuo, loin de révéler la lumière enfantine que l'on trouverait chez Ozu, témoignent plutôt d'une mélancolie qui le rigidifie, comme s'il avait déjà intégré la douleur du monde. Sa démarche, raide, mécanique, donne l'impression qu'il avance vers un danger certain. En fait, dans une inversion tragique, les enfants sont les adultes, et les adultes, dans leur sourire et leur humanité, miment l'innocence des enfants. Lorsqu'un camarade d'école de Nobuo refuse que Kiichi vienne regarder la télé après avoir détaillé ses habits, on est très clairement du côté d'une forme d'exclusion signifiant l'intégration de normes d'adultes. Le comble de cette imprégnation est sans doute atteint avec le chant appris par Kiichi, qui émeut tant le père de Nobuo.
 
 "La rivière de boue" est un film où les personnages sont constamment menacés par la chute. Celle, inaugurale et mortelle de l'ouvrier dont le contenu du chariot se renverse sur lui, donne le ton. Même le fait de recevoir une pastèque - par suite d'un geste bienveillant -  fait tomber Nobuo. Il s'ensuit, de la part du donneur, une remarque d'une rare trivialité. Traverser la passerelle pour aller sur la péniche où vit Kiichi et sa soeur s'avère périlleux pour Nobuo, surtout de nuit. L'horizon étant totalement bouché, il ne peut y avoir qu'une aspiration vers le bas. Quand Nobuo rejoint ses parents, il descend un escalier qui donne l'impression de conduire à une cave.
 
 Il y a pourtant une scène dans ce film, revêtant un caractère idyllique, où la mère de Nobuo et la soeur de Kiichi prennent un bain ensemble. Leur nudité à peine voilée contraste fortement avec le moment où, dépitée, la petite fille se voyait obligée de rendre une robe offerte par la généreuse maman. Scène surprenante car isolée, d'autant plus surprenante qu'elle n'est amenée ni suivie par aucune autre qui se révèle optimiste. La beauté ici (comme celle, éclatante, de la mère de Kiichi), se pare aussitôt d'un sombre manteau.
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