Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
17 décembre 2010 5 17 /12 /décembre /2010 16:00

 

 

 

Pinocchio, d'après Carlo Collodi

 

Texte et mise en scène de Joël Pommerat

 

Avec Anne Rotger, Pierre-Yves Chapalain, Maya Vignando

 

 

 Plus riche, plus foisonnant. Le « Pinocchio » de Joël Pommerat est, tout comme « Le petit chaperon rouge », une reprise jouée en même temps aux Ateliers Berthier. C’est sans doute lié à la nature profondément aventureuse de l’histoire, outre son caractère édifiant, mais « Pinocchio » est l’un des sommets du théâtre de Pommerat. Placé entre « Je tremble » et « Cercles/fictions », cette pièce s'inscrit harmonieusement dans son évolution dramaturgique.

 

 Comme on semble loin de « Au monde », œuvre magistrale, dont l’intrigue, axée sur le thème de la famille, opérait dans une sorte de secret, d’enfermement à la fois spatial et psychologique. Ici, famille rime avec éclatement : aussitôt que Pinocchio naît dans sa conscience de personnage, il se porte déjà vers un ailleurs. L’éducation, mise en avant par son père comme symbole d’inscription dans le réel, ne devient pour lui qu’un moteur d’affirmation de soi. Et s’affirmer c’est s’affranchir d’emblée de l’influence du père.

 

 A vrai dire, il n’y a pas d’influence ici, à tel point que les rôles s’inversent instantanément : le fils prend la place du père et le somme de veiller à son bien-être. Il est déjà tendu vers un horizon lointain, de par la frustration de ne pas se trouver au bon endroit. Cela donne cette scène savoureuse où l’actrice jouant Pinocchio, survoltée et déterminée, donne à son rôle un dynamisme qui nourrit ses mouvements vers l’avant. Une excitabilité dans les gestes, une hyperactivité nerveuse, une impulsivité qui masquent une incapacité à réfléchir au point de tomber dans les pièges les plus saugrenus.

 

 Sans doute que la scène emblématique de ce théâtre-là reste celle avec le camion, que Pinocchio hésite à prendre, dont le vrombissement du moteur marque le départ imminent vers l’ailleurs. Il hésite, il trépigne, il souffre de mettre un bémol à sa frénésie de découverte. L’immobilité : voilà ce contre quoi désormais luttent les personnages de Pommerat, loin du hiératisme de  « Au monde ». Il faut tendre vers quelque chose, même trivial (la lumière du show-biz, par exemple) pour éprouver son rapport au monde. Y tendre irrésistiblement comme un insecte est naturellement attiré par la lumière, au point de s’y brûler les ailes. Les scènes avec la chanteuse, ou celle de l’élève rebelle entamant sa danse folle sont l’emblème de cet univers de joie et de scintillement qu’il faut embrasser.

 

 Tout cela n’aurait qu’un intérêt thématique si ça n’était pas porté par une mise en scène magistrale. Travail admirable de la lumière dans les scènes voilées par un rideau (torture de Pinocchio, noyade), relayée par un expressionnisme sonore très évocateur (comme ce bruit de scie renvoyant à une scène de « Je tremble »). Comme dans « Le petit chaperon rouge », c’est par le son qu’advient la dimension horrifique des scènes. La capacité du spectacle à captiver notre attention est aussi reflétée par les passages d'une scène à l'autre à travers des fondus au noir. Véritable procédé cinématographique, ils marquent une qualité de montage qui avait déjà fait merveille dans « Les marchands » ou « Cercles/fictions ». Les scènes semblent surgir d'une nuit profonde, renforçant le caractère inquiétant de ce qui est exposé.

 

 Il y a une magie visuelle évocatrice, comme l'échappée du ventre de la baleine (nommé monstre ici) conduisant à une scène sur l'eau. Avec la seule force illusionniste de l'éclairage, le mouvement des vagues est rendu de façon très réaliste. La même magie rencontrée chez Fellini (Et vogue le navire) opère ici pour notre plus grand plaisir.   

Partager cet article
Repost0

commentaires

Blog De Jumarie Georges

  • : Attractions Visuelles
  • : Cinéma, théâtre, danse contemporaine, musique du monde, voyages
  • Contact

Recherche