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27 novembre 2013 3 27 /11 /novembre /2013 14:38

 

 

 

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"Tout le ciel au-dessus de la terre (le syndrome de Wendy)"

 

Texte et mise en scène d'Angelica Liddell

 

Avec Angelica Liddell, Xue Ying Dong Wu (luth Pipa), Xie Guinü, Fabián Augusto Gómez Bohórquez, Lola Jiménez, Jenny Kaatz

 

 

"Le masque, c'est le chaos devenu chair". Georges Bataille

 

 

 Conçu comme le dernier volet d'une trilogie, "Tout le ciel au-dessus de la terre (le syndrome de Wendy)" travaille, dès les premières scènes la question de la relation à l'attachement et la manière de se défaire d'un état, en particulier l'état d'enfance. Le syndrome de Wendy renvoyant à celui de Peter Pan, Angelica Liddell dresse d'entrée de jeu la question de la douleur de l'abandon, en scandant de façon obsessionnelle le nom de Wendy. Une quête d'un ailleurs, la douleur d'une perte qui se traduisent spatialement, sur un mode à la fois infantile, mais n'évacuant pas la question de la sexualité (longue séquence où elle se masturbe).

 

 A la manière de l'univers d'un Fellini, une dimension fantasmatique est rapidement convoquée, notamment à travers un couple qui se parle à toute vitesse, un homme dont la tête est surmontée d'un masque, une femme qui entonne un beau chant en norvégien. Si l'impression dominante au départ est celle d'un monde étrange, fantasmatique, la relation à la réalité est pourtant évidente : "Tout le ciel au-dessus de la tête (le syndrome de Wendy)" est avant tout un voyage, mais qui s'appuie à la fois sur des rencontres réelles faites par Angelica Liddell (un couple de danseurs de Shanghaï) et la convocation d'un évènement tragique, désormais tristement fameux : le massacre d'Utoya, par Anders Bering Brevik.

 

 Quitter le monde de l'enfance est prétexte à une traversée des espaces, de la Norvège à la Chine, en passant par la Corée du Sud. Les séquences s'enchaînent ainsi sur un mode nostalgique, pour ne pas dire bon enfant : une musicienne joue longuement un morceau au luth pipa, instrument typique de la musique traditionnelle chinoise ; le couple de danseurs de Shanghaï, après s'être présenté avec humour, livre une série de tangos à la sauce chinoise. Bien des gestes, pendant plus d'une heure, trahissent un rituel de conjuration, où Liddell cherche à repousser au loin les effets délétères du mal de vivre.

 

Mais le coeur de la pièce - à côté de quoi tout ce qui a précédé ressemble à un gigantesque prologue -, c'est la stupéfiante prestation d'Angelica Liddell. Pendant une bonne heure, munie d'un micro, elle déverse un torrent de propos où elle n'épargne pas grand monde. Le centre de cette critique radicale, vers qui sont dirigés ses missiles, reste la figure de la mère, avec laquelle Liddell a manifestement à découdre. Et comme ce déluge emporte tout sur son passage, bien d'autres choses sont visées : l'humanitaire, l'amour, la bonté.

 

 Ce discours misanthrope pourrait fatiguer très vite, tant la noirceur et l'invective y atteignent des sommets, si ne pointait, derrière ce masque tragique, un désir d'exister. A côté de l'asphyxie qui guette chaque parole perce l'envie d'accéder à une reconnaissance. C'est en cela que la parole d'Angelica Liddell, s'appuyant sans doute sur des données autobiographiques, est si émouvante. Tel un animal blessé, elle panse ses blessures en éructant de plus en plus.

 

 Tout cela passe par un jeu sur la langue où, à côté d'une réelle maîtrise littéraire, d'une surconscience douloureuse, Liddell fait appel aux motifs les plus regressifs : grognements, voix aigüe, éraillée, atteignant des tonalités d'enfant ; en léchant le sol et en adoptant des poses animales, elle dit à quel point son personnage est tiraillé entre lucidité et solitude, entre volonté d'élévation et chute inéluctable.

 

 Cette division de l'être se renforce d'une représentation multiple du corps d'Angelica Liddell, entre hyperféminisation (les déhanchements provocateurs) et les postures masculines (juchée sur une chaise et mimant un chanteur de canto jando). Le flamenco qui, par ailleurs, est dans la pièce la figure chorégraphique à laquelle fait le plus appel Angelica Liddell, non pas pour y signifier un attachement à une culture, mais plutôt - par ses manifestations impromptues - pour renforcer l'état d'un corps traversé par de multiples énergies et qui se laisse envahir par des sources profondes, originelles.

 

 Le cynisme généralisé de "Tout le ciel au-dessus de la terre", sa vision sans concession du monde,  n'est pas sans faire penser à un certain Rodrigo Garcia, tout autant que la question de la performance. Seulement, là où Rodrigo Garcia vise essentiellement, dans ses critiques, la société de consommation, Angelica Liddell part d'un rapport personnel difficile au réel, qui l'enserre dans des positions contradictoires. Et c'est en prenant le risque de mettre en scène son propre corps qu'elle donne à sa pièce une portée si forte. En cela, "Tout le ciel au-dessus de la terre (le syndrome de Wendy)" est une oeuvre précieuse.

   

 

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