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16 juillet 2012 1 16 /07 /juillet /2012 22:36

 

 

 

 

Faust

 

Film d'Alexandre Sokourov

 

Avec Johannes Zeiler, Anton Adansinsky, Isolda Dychauk, Hanna Schygulla

 

 

"Faust" est un film traversé par différents flux. L'un des plus caractéristiques est lié à la présence quasi permanente de la musique. Elle vient nimber la narration globale, comme un filtre adoucissant. Les dialogues, beaucoup plus présents que d'habitude chez ce cinéaste, ajoutent à cette impression. Au-delà de toute appréciation sur ce qui fonde l'univers esthétique de Sokourov (l'usage emblématique de l'anamorphose, rendu célèbre avec "Mère et fils"), c'est le rythme particulier structurant ses films qui frappe.

 

 Ici, la question des flux, indépendamment du traitement spécifique de l'image, procède d'une poussée : poussée des sons, des corps, des espaces. Dans la notion de flux, il est question de se laisser envahir, d'être pris dans des mouvements incontrôlés, qu'il s'agisse des actes ou des affects. C'est la raison pour laquelle le film va loin, dépassant sa beauté visuelle pour aborder, dans son final, des rivages plus arides, avec Faust et Méphistophélès pris dans une fuite en avant à travers les rochers.

 

 L'ouverture de "Faust", rude, oppressante — bien qu'il n'y ait aucune intention de choquer — convie le spectateur à se confronter à ce qu'est un corps, dans sa réduction organique la plus triviale : un cadavre que l'on ne dépèce même pas, mais offert dans le débordement de ses organes. Cela commence par un gros plan sur un sexe, puis la caméra opère un travelling sur le ventre du cadavre, duquel s'échappe ses intestins.  Faust et son aide les manipulent comme des bouchers le feraient avec de la viande.

 

 Flux des organes qui, de prime abord, ne s'inscrit dans aucune dramatisation particulière — on est loin, avec Sokourov, des séries américaines dont chaque autopsie ne vise qu'à lever une énigme. Ici, l'expérience du docteur Faust face à ce corps est de se trouver dans le point de tension entre volonté de contrôle démiurgique — par le fait que ce corps soit mis au rebut — et retour à une réalité sordide.

 

 La question "Que faire d'un corps ?", violemment présentée ici, n'est pas nouvelle chez Sokourov. Un petit corps peut apparaître, en empruntant des voix sortant de l'ordinaire, et disparaître avec la légèreté d'une plume (c'est la visitation du jeune garçon dans le sublime "Le jour de l'éclipse", l'un de ses films les plus aboutis). Mais c'est surtout dans "Le deuxième cercle" (1990), film inconfortable, que Sokourov a poussé le plus loin le thème de la présence lourde du corps : en effet, un jeune homme était obligé de rester un week-end durant avec le cadavre de son père mort.

 

 La mort arrête le flux, et encore. Le pendant évident de cette scène initiale montre le contact de Faust avec le corps de Margarete. Filmé quasiment de la même manière, en gros plan, l'intimité des poils entraîne une désérotisation du corps. La proximité de traitement par rapport à la scène initiale indique chez Sokourov une volonté d'unifier le vivant (dans sa vibration lumineuse) et la mort dans le même cycle, le même flux.

 

 A côté de cette interrogation sur le corps pris dans une dialectique entre vie et mort, c'est celui de l'usurier, Méphistophélès en personne, qui détonne dans le film. On reconnaît par là chez Sokourov, cette tendance à complexifier les figures du mal dans sa filmographie, au point qu'on puisse y trouver une certaine ambiguïté. Ici, Méphistophélès est un corps qui, littéralement, déborde, à la fois envisagé dans sa dimension terrestre immédiate (un corps qui vit et vibre) et sa relation à une durée infinie (il n'en finit plus de s'emplir). Etonnant effet spécial que ce traitement charnel qui évoque celui que la chorégraphe Maguy Marin utilisait dans certains de ses spectacles.

 

 "Faust" n'est pas pour autant un film macabre. Au contraire, par la grâce de l'interprète de Margarete (Isolda Dychauk), percent de magnifiques moments. Un long gros plan sur son visage, avec ce travail si particulier de l'image, en dit long sur la capacité de Sokourov à rendre une scène sensuelle, en la rattachant simplement au pur plaisir de voir. C'est même quelque chose d'assez rare dans son cinéma, quand il s'agit d'une figure féminine.

 

 Dans la fascination que Faust éprouve pour Margarete, on est dans une sorte de post-romantisme, où il ne s'agit plus d'accomplir un acte, brûler son être dans le désir de l'autre, mais d'être dans l'effleurement, l'exaltation de la pure sensation. La tension, dans "Faust", est verbale, et entraîne Faust et Méphistophélès dans une dynamique qui ne semble plus pouvoir se tarir. Combinaison d'éternité et de désir d'arrachement à une malédiction, le film, en s'asséchant progressivement, n'en finit plus d'enserrer ses personnages dans un mouvement oppressant. Inaltérable flux.

 

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