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1 septembre 2013 7 01 /09 /septembre /2013 21:10

 

 

 

 

Michael Kohlhaas

 

Film d'Arnaud des Pallières

 

Avec Mads Mikkelsen, Mélusine Mayance, Delphine Chuillot, Bruno Ganz, Denis Lavant, Roxane Duran

 

 

 Au fond, dans "Michael Kohlhaas", d'Arnaud des Pallières, il y a d'emblée toute une série de couches visuelles et narratives qui permettent d'intégrer le film dans un genre spécifique. Costumes, époque, chevauchées, vengeance. Des matières destinées, sur le papier, à composer un grand film d'aventures historiques ou un western, sous forme d'hommage à Ford ou, plus encore, à Anthony Mann, pour la prégnance des paysages. Mais quand on connaît un tant soit peu la veine auteuriste, confidentielle, du cinéaste, on se demande avec une certaine curiosité quelle posture il va adopter face à un tel sujet.

 

 La position de des Pallières n'est en tout cas aucunement ironique, pas plus que son approche ne surplombe cette histoire d'un homme éperdu de justice qui va jusqu'à enfreindre les codes d'honneur auxquels il tenait. Le film avance, porté par la détermination butée et quasi mutique d'un homme dont le moteur de l'action pourrait se résumer à une phrase : qu'on lui rende ses chevaux frais et propres.

 

 Qu'une formulation aussi rigide par sa répétition sérialisée puisse engager l'acte d'un homme (puis de toute une bande) dans un élan d'une ampleur progressive, imprime au film un mouvement irrépressible. Pourtant, ce mouvement qui se constitue en déplacements, batailles, vengeance n'a pas l'allure des schémas hollywoodiens. Le film de des Pallières, s'il refuse la dimension spectaculaire inhérente à une telle histoire - qu'on peut bien appeler une épopée -, acquiert une force par la tenue de sa concentration narrative, de son jaillissement quintessencié.

 

 Du sang et de la violence, il y en a dans "Michael Kohlhaas", mais restitués dans la ténuité d'un cérémonial intime : épées, arcs et flèches sont bien là pour marquer les corps de leurs empreintes, mais cela se produit à coup de plans rapprochés, si bien que les trajectoires en sont rendues inévidentes. Le cœur de la violence, avec ce que cela suppose d'explosion, n'intéresse pas Arnaud des Pallières. S'il s'engage dans sa représentation, c'est pour mieux en déjouer le tracé attendu. C'est ainsi que le parcours d'une lame débouche sur sa résolution ensanglantée.

 

 Pas d'acmé, juste un lent jaillissement - là encore, comme un cérémonial - puis la terminaison d'un acte, d'un geste - très bressonnien, en somme. L'attaque d'une diligence, filmée de loin pour mieux en étouffer le caractère spectaculaire, se résout par le corps du valet de Kohlhaas qui, quelques instants après, s'effondre de son cheval. Plus tôt dans le film, le même valet subit l'attaque d'un chien. On verra les bêtes se précipiter, mais les stigmates seront montrées plusieurs séquences plus tard - l'envers de la complaisance de Quentin Tarantino dans ses scènes de chiens de "Django unchained".

 

 Pourtant, au départ, domine l'impression d'être face à un film où les figures brossées envahissent le plan, différant le moment où la fiction jaillira. Celle, frappante de Mads   Mikkelsen ; visage aux expressions réduites, comme serti d'un masque, conforme à sa droiture morale. Le choix de cet acteur au jeu intériorisé n'est pas sans rappeler celui de Ryan Gosling chez Nicolas Winding Refn. Sauf qu'ici, l'aura de Mikkelsen prend une valeur particulière, ne serait-ce que par son physique quand, nu, il renvoit à toute une mythologie westernienne - il y a d'ailleurs du Ford dans ce retour chez soi de Kohlhaas, prenant son bain purificateur avant l'arrivée de la princesse, sorte d'ange ambivalent à la blancheur livide.

 

 La voix de Mikkelsen, de son fort accent, ajoute tout autant une distance qu'elle affermit un caractère impénétrable. Autour de lui gravitent des figures dignes des westerns spaghetti, gueules aux traits puissamment marqués, à tel point que Denis Lavant, ici, se remarque à peine. On peut sentir, derrière cette composition rocailleuse des personnages masculins, une volonté de tailler des corps au cordeau capables de répondre à la variété et à la beauté des paysages, magnifiquement filmés.

 

 En cela, si "Michael Kohlhaas", dans son avancée, prend appui sur le décor et l'espace, c'est en allant aussi à la rencontre des corps singuliers : Denis Lavant, bien sûr, mais aussi Sergi Lopez, et même Roxane Duran dans son court rôle de princesse. Le film ne se pare pas d'un défilé de seconds rôles qui, chose rare, apparaissent parfois dans une seule séquence : ils sont comme des points nodaux qui, à leur apparition, marquent le récit d'une empreinte décisive. Ainsi pour le théologien joué par Denis Lavant qui débite un discours pontifiant mais néanmoins prémonitoire. Idem pour la princesse qui ajoute comme un suspens dans la dernière virée dramatique du film, avant son définitif emballement tragique.

 

 Ces figures vibrantes sont le nécessaire contrepoint au jeu monolithique de Mads Mikkelsen et permettent, à leurs apparitions, de constituer des blocs de récit, à la manière dont, dans un opéra, une lumière se braque sur un chanteur, dans un moment révélateur. Ajouté à la fraîcheur du jeu de la jeune Mélusine Mayance, l'étrangeté de "Michael Kohlhaas", de l'intimité des plans rapprochés à l'ampleur des paysages filmés, laisse planer un parfum entêtant.

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