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25 juin 2017 7 25 /06 /juin /2017 21:28

 

 

 

FLA.CO.MEN

 

direction, chorégraphie et danse : Israel Galván

 

Avec David Lagos, Tomás de Perrate, Eloisa Canton, Caracafe, Proyecto Lorca (Juan Jimenez Alba & Antonio Moreno)

 

 

 Il faut avoir atteint une certaine maîtrise pour arriver à porter le geste artistique vers des contrées surprenantes. De la maîtrise ? Peut-être, qu'au fond, il s'agit de l'inverse, quand on regarde "FLA.CO.MEN", le dernier spectacle d'Israel Galván  : vouloir à ce point ne pas donner le sentiment d'une finitude de la danse pour, sans cesse, la réinterroger au point de passer par des strates inattendues.

 

 Avec ce spectacle, le danseur espagnol, issu d'une lignée fameuse, s'il continue à casser les codes du flamenco, manie ici la dérision à un point tel que l'on peut se demander, à le voir apparaître sur scène, s'il n'y a pas, in fine, une visée d'auto-destruction. Démarche intellectuelle, hyper consciente qui consisterait – avec la conscience d'avoir amener le flamenco vers des strates qu'il est peut-être le seul à supporter - à en détruire les effets. C'est ainsi que voir Israel Galván arriver sur scène le corps recouvert d'un tablier laisse augurer d'une ambiance pour le moins loufoque.

 

 Si ce début iconoclaste surprend, c'est aussi par ce dialogue qu'il instaure avec son pupitre, renversant totalement la destination de l'objet. Car dialogue il y a quand Galvan se met à parler, ses paroles étant traduites par une musicienne dans le fond de la salle, avec une distance raide. Au lieu que cette posture de Galván évocatrice d'un chef d'orchestre renvoie à une volonté d'harmoniser un flux (celui de musiciens ou de danseurs), il sert ici à désacraliser son propre geste artistique. De la parole à l'onomatopée, il n'y a qu'un pas, et voir évoluer Galván, entre auto-dérision et posture, lui donne une autre dimension : celle d'un homme, seul avec son art qui fait sa cuisine (littéralement) non pas pour imposer une nouvelle recette, mais pour, sur un mode ludique, réinterroger la possibilité que d'autre pépites sortent de cette alchimie.

 

 Car quelque part, la position de Galván devant son pupitre, comme peu après devant une chaussure en porcelaine, tient un peu du chaman qui, par ses gestes mystérieux, interroge un sens jamais définitivement donné, de la même manière que Galván n'est jamais dans une imposition du geste, mais plutôt dans une perpétuelle réaffirmation de rencontres possibles.

 

 C'est tout l’intérêt de partir d'une assise indéfectible (la source flamenco, sans cesse remise en cause, mais toujours identifiable dans les méandres de sa déconstruction) pour convoquer des figures multiples. Véritable œuvre carnavalesque, serti d'un humour constamment réjouissant, "FLA.CO.MEN" met côte à côte des artistes d'horizons divers, mais toujours en soi pris dans un débordement de leur propre champ  : il suffit de prendre les deux chanteurs de flamenco pour saisir, dans leur expressivité, un déplacement des lignes ordinaires, chacun traçant pour autant une zone personnelle, libre. Dans la longue séquence établissant un dialogue entre Galvan et le percussionniste, il s'agit moins pour ce dernier de répondre par un rythme approprié à la virtuosité du danseur que de marquer, dans une attention soutenue, sa propre musicalité.

 

 Du guitariste au saxophoniste, la scène s'emplit de sonorités diverses, dissonantes, entre tradition et modernité. Les séquences sont tellement hybrides, jetés dans un maelstrom de mouvements et d'expérimentations que l'on a parfois l'impression d'un capharnaüm. Pourtant, dans cet élan débridé, fruit d'un désir effréné de communication, un corps vient cimenter tout cela, toujours sur un mode un peu ritualiste : celui d'Israel Galván. Avec cette sidérante virtuosité, cette légèreté aérienne rendant chaque geste aussi fluide que déliée, il fait de son corps l'élément principal de suture des différentes séquences, quand bien même tout cela paraîtrait dispersé et éclaté.

 

 C'est que la démarche de Galván n'est peut-être pas tant d'unifier, de polir son spectacle, que de donner à voir "FLA.CO.MEN" sous un angle foncièrement original : se positionner littéralement à hauteur d'enfance, s'emparer des différents objets disséminés sur scène (chaise sur la quelle il grimpe, percussion jouée en se couchant, amas de pièces piétinées) pour marquer, face à eux, la surprise d'une approche. Appuyé par ses borborygmes (envisageables comme un prolongement de son travail vocal avec Akram Khan), Israel Galván traverse la scène comme un enfant désireux de révéler une autre face d'un objet, l'amener à une autre fonctionnalité, en le dépouillant de sa valeur initiale. C'est ce que permet cet artiste remarquable : retrouver la surprise du regard de l'enfance.

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