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15 décembre 2017 5 15 /12 /décembre /2017 12:21

 

 

 

Bacchantes - prélude pour une purge
 

Chorégraphie de Marlene Monteiro Freitas
 

Avec Cookie, Flora Detraz, Miguel Filipe, Guillaume Gardey de Soos, Johannes Krieger, Gonçalo Marques, Andréas Merk, Tomas Moital, Marlene Monteiro Freitas, Lander Patrick, Claudio Silva, Betty Tchomanga, Yaw Tembe
 

 

 Le spectateur féru de tragédies grecques ne s'y retrouvera pas forcément dans cette adaptation déjantée de Marlene Monteiro Freitas. Il se rassurera peut-être en sachant que la chorégraphe cap-verdienne avoue ne pas comprendre complètement la pièce d'Euripide. Manière pour elle d'effectuer un pas de côté artistique lui permettant de libérer sa verve imaginative.
 

 Et pour le spectateur désormais familier de l'univers de Monteiro Freitas, il y a, à côté de la volonté de comprendre le rapport au texte d'Euripide, le confort de pouvoir identifier cet univers chorégraphique si singulier, exerçant une séduction immédiate liée à ses composantes populaires (déhanchements prononcés de l'arrière train, érotisation des mouvements, hérités de certaines danses africaines). Et plus que jamais, il pourra relever cette caractéristique propre à la chorégraphe, où les personnages, mus par des mouvements mécaniques, saccadés, sont engagés dans des situations qui, s'ils frisent l'absurdité, frayent entre maîtrise du mouvement et sa décomposition.
 

 On a ainsi souvent l'impression de pénétrer dans un univers où, quelque part, on essaie de mettre de l'ordre dans un espace peuplé de marionnettes, comme déserté par une forme transcendante qui en régulerait les flux. Marionnettes sans fils, les personnages vont et viennent, accomplissant des actes, des figures, des danses totalement décomplexés. Marlene Monteiro Freitas, dans un élan purement carnavalesque, a opté pour une dépense des corps ludique, détourné de tout tragique.
 

 On décèle bien une tentative d'ordre dans « Bacchantes - prélude pour une purge », instaurée de prime abord par les musiciens, investissant le devant de la scène dans une régularité de métronome, pour finir par s'asseoir sur des chaises, dos aux spectateurs. Censés regarder la pièce, tels des superviseurs qui viendraient en corriger les ratés, ils se révèlent, pris qu'ils sont dans la même dynamique déshumanisée, collés à leur siège, dans une passivité et une impossibilité de contrôle marquées par leurs mouvements de tête, incontrôlables. Il y a encore cet homme qui, au fond de la scène, chante ou, plus tard, tape sur une percussion. S'il fait office de leader, cette place ne sera jamais assurée tant, dans « Bacchantes - prélude pour une purge », l'anarchie finit par dominer, les positions devenant interchangeables. Il y a toujours quelque part, sur la scène, un personnage excentré, rompu à ses mouvements solitaires, échappé de tout échange.

 

 Dans ce spectacle survolté, si l'allure de marionnettes des personnages est renforcée par leurs attributs postiches (notamment des bouches démesurées), c'est principalement leur œil artificiel, allant des musiciens aux danseurs, qui donne à « Bacchantes - prélude pour une purge » sa métaphore principale : quelque soient les activités, les mouvements, les danses, tout se fait, au bout du compte, « à l'aveugle ». Il n'y a de la dépense que dans le tâtonnement de l'espace, que dans une tentative imparfaite de conquérir objets, corps de l'autre, ou de maîtriser son propre corps. Scène emblématique : l'homme se masquant les yeux et allant chercher un spectateur pour que celui-ci l'aide à aller vers la scène. L'œil fermé ou exorbité traduit la tension entre éveil au monde et impossibilité de s'y fixer une place.

 

 In fine, l'unité de « Bacchantes - prélude pour une purge » tient à la constance de son débordement, où la virtuosité des uns et des autres arrive à tout faire tenir. Les musiciens surprennent en dépassant constamment leur jeu de trompette. A un thème classique répondra, à un moment ou à un autre, un délire sonore improbable, où tous les souffles possibles sont exploités, en une expérimentation digne de la musique contemporaine. Surtout, de spectateurs au départ, ils se fondent parfaitement dans le dispositif de la pièce, devenant acteurs à part entière et se prêtant aux mêmes délires que les autres, avec force grimaces et borborygmes régressifs (il faut les voir avançant couchés à terre, soufflant dans leur instrument devant eux).

 

 Mais plus que tout, c'est sans doute dans l'usage des objets que la pièce de Marlene Monteiro Freitas atteint à la plus grande virtuosité, accomplissant l'infini pouvoir de la métamorphose. Un pupitre se transforme tour à tour en béquille, en épée, en violon, en flûte, au gré de l'inventivité des protagonistes. Cette mobilité joyeuse confère à « Bacchantes - prélude pour une purge » une inaltérable dynamique, aidée par une pléiade de citations musicales (Debussy, Purcell, entre autres) et culmine avec le « Boléro », de Ravel, musique par excellence de la ritournelle fondée sur l'amplification thématique. Manière d'accéder, par une inlassable boucle fédératrice, à un semblant d'ordre.

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