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20 janvier 2018 6 20 /01 /janvier /2018 13:47

 

          Photo © Jean-Louis Fernandez

 

1993

 

Texte Aurelien Bellanger

 

Mise en scène de Julien Gosselin

 

Avec Quentin Barbosa, Genséric Coléno-Demeulenaere, Camille Dagen, Marianne Deshayes, Pauline Haudepin, Roberto Jean, Dea Liane, Zacharie Lorent, Mathilde-Edith Mennetrier, Hélène Morelli, Thibault Pasquier, David Scattolin

 

 

 Au regard des 4 heures des "Particules élémentaires", qui l'a fait connaître et des 11 heures de "2666", qui a consacré son ambition, l'heure quarante cinq de "1993" semble faire office de transition dans la trajectoire de Julien Gosselin. Pourtant, il ne faut pas longtemps pour se rendre compte que cette dernière pièce recèle autant d'ambition que les deux précédentes, aussi bien sur le plan thématique qu'esthétique. Jeune metteur en scène, Gosselin trace déjà un sillon d'une extrême cohérence (pour ne pas dire de maîtrise).

 

 A cet égard, "1993" pourrait parfaitement s'inscrire dans la continuité de "2666", comme un chapitre manquant sur le plan esthétique. Gosselin se veut à ce point ancré dans le contemporain qu'il évacue toute adaptation de texte théâtral. Un pas est franchi avec "1993" puisque Aurélien Bellanger, l'auteur du texte, l'a écrit expressément pour le metteur en scène, en une interrogation sur la construction européenne. Et en faisant appel à de jeunes comédiens (le Groupe 43, issu de l’École du TNS en juillet 2017 ) Gosselin renforce ce désir de faire coïncider les corps de ces jeunes nés à cette époque avec le mouvement historique qui y correspond. Inscrire leur trace dans une vibration événementielle particulière.

 

 Mais au regard de cet ancrage dans un point précis de l'histoire, Bellanger et Gosselin éprouvent le besoin de créer une distance, qui se veut à la fois critique, mais teintée de doute. C'est à travers la figure de Francis Fukuyama - célèbre pour avoir théorisé la fin de l'histoire comme avènement du triomphe du libéralisme, mais dont les thèses, en Occident, ont provoqué une volée de critiques – que les deux artistes traduisent le frémissement historique qui a vu la naissance du tunnel sous la Manche et de Calais.

 

 Le moindre qu'on puisse dire, c'est que cette approche, pour faire résonner avec force des questions qui irriguent encore l'actualité – et dont la figure du migrant serait l'axe emblématique – n'exerce pas une séduction immédiate. C'est que, dans le prolongement de "2666", marqué par une présence abondante de la vidéo, Gosselin poursuit ce que l'on pourrait appeler une esthétique de l'effacement, de la disparition. Si les jeunes comédiens prennent place dès le départ de la pièce, c'est sous une forme ténue, progressive, comme s'il fallait traverser un rideau de lumière avant de marquer l'espace de sa présence. Ce serait sans doute là la métaphore profonde de la pièce, où tout ce qui est voué à la construction, mène inexorablement vers une perte, une disparition.

 

 Et quand ces comédiens s'alignent sur le devant de la scène, en proférant d'une voix haut perchée le texte d'Aurélien Bellanger, ce n'est pas pour révéler une quelconque qualité de jeu. La tonalité est souvent la même, même si ça et là peuvent percer un timbre de voix singulier, à la gravité rauque. Le texte de Bellanger, d'une densité évacuant toute poésie, pris dans l'onde musicale continu propre à la démarche de Gosselin, n'est pas toujours facile à suivre. Tout cela est donné dans une nappe sonore suffocante et le plus frappant reste ce dispositif scénique étonnant, lorsque notamment est évoqué le tunnel avec un grand mouvement de lumière représentant littéralement un gouffre prêt à tout aspirer. Gosselin pousse loin cette désincarnation, aussi déroutante que fascinante, par ce qu'elle signifie de cohérence esthétique.

 

 Bien avant la moitié de la pièce, pourtant, une inflexion s'opère, et les corps, en quelque sorte, prennent forme. Fini la rectitude des alignements frontaux ; la rigueur le cède à une présence là encore prégnante de la vidéo, avec une division de la scène en deux : en haut un écran, où apparaissent les images filmés par un cameraman sur la scène, en bas. Passage en quelque sorte d'un temps théorique, serti dans un discours verrouillé, à une forme vibrante, où l’œil du spectateur navigue entre deux champs, du fixe au fuyant, face à une incertitude visuelle. Présence de la vidéo destinée à rendre compte du flux humain, dans sa dimension paradoxalement la plus palpable : la caméra explore la texture des peaux, les élans amoureux, les tressautements des corps.

 

 Pourtant cette approche plus intimiste, ne déroge pas à la question de la représentation de l'Europe. Simplement, au lieu de passer par la phase oratoire univoque, l'interrogation se déplie dans la relativité des singularités humaines, les jeunes étant là pour symboliser les différents pans des identités européennes. Cela passe par une saisie de l'immédiat amplifiée par la musique techno, décidément très en vogue chez de jeunes metteurs en scène, jusqu'à la représentation caricaturale d'un Vincent Macaigne.

 

Par sa mise en scène sans concession, toute en rupture, "1993" ne manquera pas de dérouter ceux qui découvrent l'univers de Julien Gosselin. Les familiers pourront tout aussi s'étonner, mais de la rigueur implacable d'une forme, tout en se convainquant qu'ils tiennent là un artiste ayant largement dépasser un statut prometteur pour s'ancrer durablement dans le champ théâtral.

 

 

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