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30 janvier 2018 2 30 /01 /janvier /2018 23:34

 

 

Seule sur la plage la nuit

 

Film de Hong Sang-soo

 

Avec Kim Min-hee, Seo Young-hwa, Kwon Hae-hyo, Jeong Jae-yeong

 

 

 Avec l'adagio du quintette à cordes de Schubert qui ouvre "Seule sur la plage la nuit", le ton est donné. S'il est caricatural de rapporter l'essence romantique du compositeur allemand au lieu ou commence le film (Hambourg), la nature profondément mélancolique des premières séquences dessine un territoire mental où prime la notion de solitude.

 

 "Seule sur la plage la nuit" commence par une solitude à deux, où deux personnalités distinctes, Young-he et son amie se confient sur leur rapport aux hommes : l'une qui attend un homme marié, l'autre se retrouvant seule par manque de désir pour celui avec qui elle vivait. Dès le départ, Hong Sang-soo rend palpable ce sentiment d'abandon, particulièrement celui de Young-he, en opérant une inscription dans l'espace, en la plongeant dans le froid mordant de l'hiver, propice à un repli sur soi : les corps recouverts de vêtements, les promenades dans un parc témoignent de l'ampleur de cette mélancolie teintant le film ; tout cela amplifié par les difficultés à parler avec les amis allemands, quand bien même les deux femmes ont des rudiments d'anglais. Le lointain, ici, apparaît comme le lieu favorisant un exil intérieur.

 

 Avec la trajectoire flottante de son personnage principal, Hong Sang-soo accentue sa perte de repère en y injectant une certaine dose d'étrangeté. Elle s'incarne en la personne d'un homme, grande figure inquiétante faisant des apparitions décalées, dans un parc tout d'abord – au point que les deux femmes fuient en le voyant -, puis, lorsque, littéralement, il enlève Young-he, en guise de conclusion de cette période allemande. Cette figure sombre, dans le prolongement de cette veine romantique allemande, n'est pas sans évoquer les êtres solitaires d'un peintre comme Caspar David Friedrich, souvent seul face à la nature.

 

 Lors du retour en Corée – où les lignes géographiques sont elles aussi déplacées, puisque les personnages, témoignant d'une lassitude de Seoul, se retrouvent à Gangneung -, "Seule sur la plage la nuit" permet de retrouver l'inimitable patte de Hong Sang-soo. Si l'hiver y est tout aussi saisissant – manière de maintenir un coloris homogène - , tant les personnages restent emmitouflés, quasiment lovés sur eux-même, l'évocation de cet ailleurs qu'est Hambourg prend, in fine, une allure fantasmée. Il faut entendre Young-he évoquer ses rencontres avec les hommes, à la fois faciles mais l'obligeant à une rétention de peur de se perdre, et surtout le détail relatif à la sexualité ("c'est gros en bas"), étonnante dans cet univers si allusif.

 

 Mais si "Seule sur la plage la nuit" marque un tournant décisif dans l'univers de Hong Sang-soo, c'est bien parce qu'y transparaît cette matière autobiographique, propice à une mise en abîme vertigineuse, autour de son actrice, Kim Min-hee, devenue la compagne du cinéaste alors qu'il était marié. Hong Sang-soo ne manque pas d'injecter des allusions précises concernant cette histoire, comme la rapacité de certains dans la volonté de dénonciation de cette affaire.

 

 Là, dans les incontournables scènes de beuverie, le sujet prend un tour particulier, contribuant à rendre celles-ci encore plus fortes qu'à l'ordinaire, car ce qui s'y joue dépasse le cadre du couple Hong Sang-soo-Kim Min-hee dans la ville réelle. Le cinéaste propose des séquences vertigineuses sur les relations hommes-femmes, à la fois totalement désopilantes (l'homme qui masque la réalité de sa relation avec une femme, qu'on entend en hors- champ lui dire : "appelle-moi ta bonne" avant de lui confier le tri de graines), ou empreinte d'une folie névrotique. Fabuleuse séquence de marivaudage où Young-he, après avoir fustigé les hommes, en vient à embrasser la femme d'un de ses amis, tandis qu'une autre femme tente de dérider son compagnon en essayant aussi de l'embrasser. Une levée des inhibitions favorisée certes par l'alcool, mais qui en dit long sur cette fragilité des relations amoureuses.

 

 Tout cela culmine dans la fameuse séquence où Young-he se retrouve face au cinéaste, dont l'assurance s'effondre après avoir lui avoir lu un texte – qu'au passage une assistante est allé chercher dans sa chambre, mais en se faisant accompagner par un autre collaborateur. A l'heure de l'affaire Weinstein, cette notation dans le film de Hong Sang-soo prend une drôle de résonance. L'extrême tension régnant dans cette longue scène tient à ce battement entre une véritable confrontation et le regard médusé et embarrassé des assistants.

 

 Ainsi, "Seule sur la plage la nuit" s'il témoigne de l'intarissable créativité de Hong Sang-soo, marque peut-être plus que ses derniers films, la capacité du cinéaste à brouiller encore plus les pistes entre imaginaire et réel. Qu'une matière biographique puisse s'y glisser pour rendre le fil entre ces deux pôles encore plus ténu, c'est tout simplement la meilleure nouvelle qu'un cinéaste puisse nous annoncer.

 

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