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8 février 2018 4 08 /02 /février /2018 21:49

      Photo : Chris Van der Burght

 

Blessed

 

Chorégraphie de Meg Stuart

 

Avec Francisco Camacho, Kotomi Nishiwaki, Abraham Hurtado

Abraham Hurtado
Abraham Hurtado

 

 

 A l'heure où, à Paris et dans bien d'autres régions de France ou d'Europe, la météo s'emballe, la neige tel un doux linceul paralysant les routes, les transports, imposant un rythme ralenti, la reprise de "Blessed" (2007) prend une signification ô combien symbolique. Avec les nombreuses pluies de ces dernières semaines et la crue de la Seine, les conditions météorologiques entrent en résonance frappante avec le spectacle de Meg Stuart. Il faut rappeler que la création de "Blessed", au titre éloquent fait écho au passage de l'ouragan Katrina en 2005 à la Nouvelle Orléans, ville natale de la chorégraphe américaine.

 

 C'est dire si "Blessed", indépendamment de cette référence inaugurale tragique, s'avère coller à l'atmosphère actuelle. Pour chaque spectateur, la pluie envahissant le plateau pendant une bonne partie du spectacle, au lieu de l'arracher à la réalité, lui permet au contraire de s'y référer. La frontière entre réel et fictionnel s'abolit un temps, et la trajectoire du danseur Francisco Camacho, loin de lui être étrangère, accentue au contraire sa capacité d'identification.

 

 Car "Blessed", en montrant cet homme seul sur scène, dans ses mouvements mécaniques, bras se levant tel un robot, dresse le portrait d'une condition idéale, à la fois artificielle et auto-satisfaite, où le rapport à l'espace et au temps semble impeccablement régulé. L'homme se déplace, allant vers un palmier ou un cygne, tous deux en carton, comme pour vérifier que leur présence relève de l'évidence. Mouvements d'avant en arrière témoignant de cette aisance à parcourir un espace connu, où ne règne que l'ordre et la paix. Jusqu'à ce que tout cela se fissure avec cette pluie incessante qui ne cesse de tomber, au point de faire ployer ces éléments factices.

 

 La suite, qui voit l'homme se réfugier dans une maison, témoigne de l'effondrement de ce paradis, au sens propre, jusqu'à ce qu'il entame une parade pour conjurer la solitude : s'habiller de vêtements plus chatoyants, tout en faisant en sorte que le corps reste dans une dynamique où s'affirme la pulsion de vie. Et, comme dans un rêve, l'apparition de Kotomi Nishiwaki en majorette facétieuse ajoute un temps une lumière précieuse, mais toute aussi artificielle, au désespoir.

 

 Si "Blessed" reste étonnamment d'actualité, c'est aussi parce, dans sa séquence la plus sombre, les solitudes les plus contemporaines sont convoquées : celle de cet homme cherchant à s'aménager une zone de confort, se recouvrant de ce qu'il peut (étonnantes scènes de Camacho s'engouffre sous des cartons pour former un lit), se levant et repartant inlassablement dans un mouvement répétitif et absurde digne de l'univers de Beckett. Et lorsque Camacho, dans un élan régressif, réduit à l'état d'animal, évolue à quatre pattes, il atteint alors des sommets de maîtrise technique.

 

 Et si par la suite, il se tient devant nous, réduit à l'état de marionnette désarticulée qu'Abraham Hurtado vient animer en l'affublant de différents accessoires et vêtements, ce n'est pas tant pour achever une désincarnation que pour signifier que malgré la dégradation d'un être, il est encore possible de croire au sauvetage. Tout simplement en maintenant la flamme du spectacle, que seul le corps, dans son agitation incontrôlée, peut assurer.

 

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