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10 janvier 2018 3 10 /01 /janvier /2018 22:05

 

 

 

Mélancolie(s)

 

Création et adaptation à partir des "Trois Sœurs" et de "Ivanov" d’Anton Tchekhov par Julie Deliquet et le collectif In Vitro

 

Mise en scène de Julie Deliquet

 

Avec Julie André, Gwendal Anglade, Éric Charon, Aleksandra De Cizancourt, Olivier Faliez, Magaly Godenaire, Agnès Ramy et David Seigneur

 

 

 

 

 Plus que jamais, en l'année 2017, Tchekov aura connu les honneurs de la scène théâtrale française. Avec "Mélancolie(s)", par Julie Deliquet et le collectif In Vitro, c'est à une sorte d'apothéose à laquelle on assiste, car ce spectacle est composé de ni plus ni moins que de l'adaptation de deux pièces du grand écrivain : "Les trois sœurs" et "Ivanov". Le résultat, véritable fusion de deux œuvres pourtant distante l'une de l'autre de plus de dix ans (la première version d'Ivanov date de 1887, "Les trois sœurs" de 1900), témoigne d'un sens aigu de l'univers de Tchekov.

 

 Première pièce jouée du vivant de Tchekhov, "Ivanov" contient sans doute à elle seule le climat qui irrigue l'univers de l'écrivain, empreint d'un désespoir existentiel pesant, que les autres œuvres contribueront à tamiser en les passant dans un filtre délicat, où la vacuité existentielle et la suspension du temps dessineront des territoires infiniment plus profonds. Mais en tissant ces deux pièces, Julie Deliquet et son collectif réussissent une vraie alchimie : concentration des formes, des temporalités, confrontations des personnages antinomiques.

 

 Pourtant, le début de "Mélancolie(s)" laisse planer une atmosphère singulière, avec la projection d'une vidéo où deux personnes, homme et femme, sont filmées dans une voiture. On y parle de la maladie de l'une et de la perte des sentiments amoureux de l'autre. Scène muette, allure de roman-photo ne laissant en rien augurer de la suite, qui se déroule en fait … un an avant. Prélude en noir et blanc à la fois idéalisé et désinvesti de toute nature conflictuelle, ne laissant percevoir les feux passionnels.

 

 La longue séquence montrant l'arrivée d'Ivanov (appelé ici Nicolas) avec sa femme chez d'anciens amis révèle la qualité de travail de groupe de Julie Deliquet : un incomparable sentiment de spontanéité dans les scènes, l'impression tenace de voir une scène se créer sous nos yeux, dans un pur présent, rompant avec l'idée de déroulement, de progression. Le spectateur a véritablement le sentiment d'être au plus près de ce frémissement humain, où les sourires ouvrent les échanges, les traits d'humour fusent. C'est véritablement là qu'on assiste à une sorte de revivification de l'univers de Tchekhov, sachant que l'écrivain regrettait souvent le manque de légèreté de ses adaptations.

 

 Mais dans la deuxième séquence, on passe à un tout autre registre. Si la scénographie n'évolue pas beaucoup, le ton se fait beaucoup plus dramatique, et la légèreté inaugural le cède ici à une tension qui, bien que traversée par des phases de légèreté et de d'humour, ne s'atténuera plus. La vibration humaine créé dans la pièce est d'ailleurs telle que plus on avance, plus il est difficile de détacher les moments proprement conflictuels de ceux axés sur la détente. Véritable schizophrénie comportementale induisant un regard décalé.

 

 C'est qu'avec la place que prend le personnage de Nicolas-Ivanov, le déséquilibre s'installe pour ne plus s'inverser. A cet égard, l'interprétation d'Eric Charon - autour duquel gravite cette instabilité progressive -, étonne par cette façon d'incarner en libérant totalement sa veine expressive. Gestes amples hyperthéâtralisés, yeux tournant dans leur orbite, torsion extrêmes des bras. On se croirait quelque part dans un film muet russe . C'est sans doute beaucoup pour un seul acteur, par rapport au jeu finalement sobre de ses comparses. Pour autant, ça ne rompt pas l'équilibre de la pièce, tant la majorité des comédiens se révèlent brillants. Si l'approche se révèle parfois surprenante, elle n'en est que plus stimulante.

 

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