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18 septembre 2018 2 18 /09 /septembre /2018 12:23

 

 

 

Le père


 

Adaptation, scénographie et mise en scène Julien Gosselin


 

D’après "L’Homme incertain" de Stéphanie Chaillou


 

Avec Laurent Sauvage


 

 Avec "Le père", qui donne à voir sur scène un seul comédien, Laurent Sauvage, Julien Gosselin s'offre un de ces intermèdes dont il devient coutumier, en regard de ses productions plus ambitieuses (dont "2666" avec ses onze heures). A vrai dire, il n'y a pas moins d'ambition dans ce court spectacle (annoncé 1h15 ou 1h30, il ne dure en réalité qu'une heure) que dans les grandes formes du metteur en scène. C'est comme si, dans la vague des productions successives, "Le père" devenait une portion se détachant du reste pour trouver son autonomie relative.


 

 Car, lorsque commence "Le père", le spectateur comprend d'emblée face à quel type d'exigence artistique il est placé : pendant plusieurs minutes, la salle est plongée dans le noir et, lorsque la voix de Laurent Sauvage commence à s'élever, distinctement, amplifiée, se pose la question de l'incarnation : on pourrait tout aussi croire à une voix enregistrée, puisque le corps de l'acteur n'est pas présent. On se trouve déjà devant l'esthétique que creuse de plus en plus Julien Gosselin sur cette question de la représentation, sur la façon dont un texte doit être rendu.


 

 Et quand apparaît enfin Laurent Sauvage, très progressivement, comme un fantôme sortant d'une brume vaporeuse, on n'est pas loin de penser à un autre artiste de la scène, Claude Régy, connu pour ses mises en scène sans concession, où l'immobilité et l'obscurité participaient d'une approche minimaliste (on se souvient des remarquables performances de Isabelle Huppert dans "4.48 Psychoses" ou de Jean-Quentin Châtelain dans "Ode maritime"). Mais Gosselin fait de l 'apparition de l'acteur (ou de sa disparition) une question essentielle de son théâtre (on se souvient des longues séquences de "2666" sans comédiens, portées seulement par le texte).


 

 Mais si Laurent Sauvage, dans son monologue, est quasiment aussi immobile que dans une pièce de Régy, l'intensité qu'il donne au texte dessine une dynamique qui tient le spectateur en haleine. Il y a un vrai plaisir à retrouver ce comédien, habitué de la troupe de Stanislas Nordey et ses spectacles parfois déjantés ( voir son "Je suis Fassbinder"). Loin de la désincarnation du jeu propre à Régy, il dessine ici, par une voix claire, un élan dramatique allant crescendo, jusqu'à ce que, dans un premier temps, il disparaisse de la scène.


 

 Dans une mécanique scénique typique désormais chez Julien Gosselin, une structure aux lumières vives s'élève à mi-hauteur sur la scène, et c'est alors que le texte de Stéphanie Chaillou, seul, défile à l'arrière-plan. Ce défilement incarne également le sens rythmique des spectacles du metteur en scène, révélant une vraie musicalité, renforcée par la présence d'un continuum sonore créé par Guillaume Bachelé - jusqu'à ce celle-ci atteigne un degré d'exaspération éprouvante pour l'oreille. Paradoxalement, la vision du texte seul rend compte de sa réelle beauté : phrases courtes, sécheresse des propos, mais qui obtiennent, dans cette successivité, une aura poétique, proche du haïku japonais.


 

 On peut être en revanche un peu surpris par la fin de la pièce, qui voit Laurent Sauvage revenir sur scène, voix sans amplification, sans musique. Un sentiment de vide règne alors. Mais c'est que, de ce texte marqué par la chute sociale d'un agriculteur, passant de la résignation à la révolte, il ne reste qu'une sorte de béance, et le comédien, tel un cheval fourbu, restitue cet état d'épuisement. Anti-spectaculaire, frustrant quelque part, mais essentiel dans la compréhension d'une trajectoire humaine sans fard ni artifice.

 

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