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2 septembre 2018 7 02 /09 /septembre /2018 13:51

 Avec « Le poirier sauvage », le cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan retrouve l'ampleur romanesque de ces deux précédents films. Son lyrisme, teinté de séquences splendides, n'empêche pas le film d'être submergé par des dialogues abondants, chargés d'une irrésistible misanthropie.

 

 

Le poirier sauvage

 

Film de Nuri Bilge Ceylan

 

Avec Dogu Demirkol, Murat Cemcir, Bennu Yildirimlar

 

 

 Aussi ambitieux dans son propos qu 'ample dans son format, « Le poirier sauvage » assoit un peu plus le style qui a fait la renommée de de Nuri Bilge Ceylan surtout depuis « Il était une fois en Anatolie » confirmée dans « Winter sleep », palme d'or à Cannes : la lenteur du développement y voisine avec une tension dramatique, manifestée principalement à travers le langage. Mais aussitôt énoncée cette tension entre profondeur du développement et esthétique magnifique, force est de constater que « Le poirier sauvage » offre au spectateur un visage plus unitaire, pas forcément sous le meilleur jour : les dialogues y abondent à un tel point d'exténuation que les personnages, poussés dans leurs extrémités, en sortent totalement pressurés. C'est le paradoxe d'un univers où les éclats visuels, pour être conçus comme des respirations, n'en laissent pas moins des persistances rétiniennes profondes contribuant à enrichir la dramatisation.

 

 Plus encore dans « Le poirier sauvage », on perçoit une disjonction entre cet épanchement de la parole et la magnificence de certaines séquences. L'une ne répare pas l'autre, mais vient poindre, comme pour réclamer sa place. L'ampleur visuelle déjoue la tension dramatique, souvent chargée d'une misanthropie étouffante.

 

 Ainsi, le mouvement profond du film, au lieu d'aller vers une amplification, produit un effet inverse : repli, crispation, rancœur. « Le poirier sauvage » va ainsi à l'encontre de ces films dont l'intrigue porte sur un personnage de retour parmi les siens, dont le présence va bouleverser tous les schémas figés. Là où le retour opère une ouverture des consciences, permettant l 'épanouissement des personnages, nul élan ne vient ici créer ce souffle rédempteur.

 

 Sinan, de retour dans sa famille à Çanakkale, ville des Dardanelles, après des études, est riche d'ambition littéraire. Si sa volonté d'écrire un roman témoigne d'une détermination forgée à l'aune de son expérimentation, la confrontation avec sa famille se fait elle, sur un mode pour le moins conflictuel. Dès le départ, dans une scène de retrouvailles emblématique, Bilge Ceylan témoigne de l'écart existant entre Sinan et les personnes qu'il a quittées : c'est la belle séquence avec la jeune femme, désormais voilée. Rencontre marquée par une douce tension entre écart (le voile comme bascule dans un rigorisme religieux éloignant Sinan d'une potentielle amante) et derniers feux du désir (elle l'embrasse). Et quand le cinéaste s'attarde, en des plans superbes sur la chevelure de la jeune femme, par des mouvements de caméra ouvrant sur les feuillages des arbres, le film installe provisoirement une forme d'apaisement salutaire.

 

 Cette séquence marque en tout cas le peu de contrôle que Sinan a par rapport à la réalité à laquelle il se confronte, en particulier dans ses relations avec son père, considéré comme un bon à rien dilapidant l'argent dans les jeux, et porté par des ambitions saugrenues (creuser un puits).

 

 Cette façon de rabaisser le père auprès de la mère, au point de critiquer son choix, est sans doute la limite du film, car si elle n'empêche pas de voir Sinan comme un idéaliste individualiste, elle bouche toute horizon relationnelle. « Le poirier sauvage » baigne ainsi constamment dans une atmosphère aigre, où chaque dialogue ne vise qu'à régler des comptes. Cela culmine lors de l'entretien de Sinan avec l'écrivain renommé, qui se termine en propos acerbes de la part du jeune homme. Il y a Chez Bilge Ceylan une volonté d'accabler ses personnages qui les rend peu aimables. Le seul choix du comédien témoigne de cette distance une peu méprisante : tout dans son allure, sa manière de marcher comme un vieux cheval fourbu, indique le peu d'empathie pour le personnage.

 

 Pourtant, « Le poirier sauvage » recèle quelques pépites, lié notamment à ce traitement romantique du paysage, et à quelques plans à la réelle fulgurance poétique, comme celui du visage de Sinan enfant envahi de fourmis. Echo au plan ou le père dort, le visage également traversé par les mêmes bestioles. Manière silencieuse de renvoyer à des zones de mémoire fondées sur une émotion pure, à l'abri de tout conflit interindividuel. C'est dans ces moments-là que Bilge Ceylan prouve sa capacité à générer, sur un mode silencieux, des images d'une intense charge évocatrice.

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