Photo : Stéphane de Sakutin
Gatomaquia
Spectacle d'Israel Galvan
Avec Israel Galvan, danse, Caracafe, guitare, Alexandre Romanès, Délia Romanes, Alexandra Romanès, Rose-Reine Romanès, Irina Romanès
Il y a une sorte d'évidence à voir Israel Galvan proposer non seulement son nouveau spectacle "Gatomaquia" dans un cirque, mais le fait d'y intégrer les différents protagonistes du lieu relève d'une intuition non pas intellectuelle, mais profonde, tellurique.
Car si "Gatomaquia" tient du cirque – dans tout les sens du terme, tant la pièce baigne dans une ambiance carnavalesque -, c'est l'essence même des spectacles de Galvan qui renvoie à cette accointance avec les éléments mis en jeux dans son esthétique. Car ce danseur ayant révolutionné l'interprétation du flamenco, en arrive à confronter son art avec l'espace et les objets, tel ces artistes du cirque qui doivent atteindre un degré de perfectionnement de leur discipline avant de se confronter au vide, à la chute, autant de facteurs révélant le caractère aléatoire de tout art.
De cette virtuosité sans borne , Israel Galvan trouve matière à évoluer sur un mode paradoxal : son corps, d'une légèreté et d'une finesse inaltérable, s'engage sur la voie de la confrontation avec l'espace, les objets. Plus que de confrontation, il s'agit d'exploration, d'expérimentation : plonger le corps face à une multitude d'éléments censés contrarier son expression, en créant constamment une relation ludique avec eux.
Il y a véritablement, dans la posture de Galvan, quelque chose de l'ordre de la tauromachie – sauf que cette relation basée sur le jeu d'équilibre, d'esquive, ne débouche sur aucune négation de ce qui est mis en présence (la mise à mort pour le torero), mais vise au contraire à faire advenir les objets les plus anodins sur la scène, à leur conférer une épaisseur particulière. D'ailleurs, le corps du torero, dans ses torsions, ses évitements, entre tension et relâchement, est très proche du danseur de flamenco. Chez Galvan, cette façon d'intégrer divers objets finit par revêtir une fonction magique, telle une démarche animiste, ritualisée, où les mots, parfois murmurés, prolongent les effets de conjuration en faisant advenir les objets à une autre fonction.
Dans cette exploration incessante, le corps de Galvan, rompu à créer toutes sortes de résonances sonores, devient un instrument à part entière, ou en tout cas fait feu de tout objet pour créer un corps qui absorbe toutes les sonorités environnantes pour les faire rejaillir grâce à son expressivité folle. Qu'il porte des chaussures en bois à la japonaise, jouant sur les rythmes et les déséquilibres, ou qu'il danse sur une planche instable (ou un instrument façon cymbalum étalé à terre), Galvan évolue constamment sur le fil d'une recherche, éprouvant sa capacité à rester lui-même, frottant sa virtuosité à diverses aspérités.
"Gatomaquia" n'est pas pour autant un spectacle d'une tenue exemplaire. On assiste plutôt à une succession de scènes, dont les plus saugrenues tournent autour de ces chats que l'on fait venir sur scène à coup de sifflets et de viande pour les appâter. Loufoques, ces moments sont complétés par les prestations de la famille Romanès, Alexandre, sa femme Délia – dont les chants suaves nous transportent, plus lointainement, quelque part en Inde, la terre d'origine – et leurs filles. Entre danse tournoyante et exercice à la corde, à plusieurs mètres du sol, hula-hoop, le spectacle assume son côté festif. "Gatomaquia" serait sans doute un défoulement anodin s'il n'y avait cette générosité transmise par Galvan, ce moment de partage opéré par un grand danseur qui, loin de se prendre au sérieux, fait de sa présence dans un cirque une étape propice à un épanchement décomplexé.
