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25 novembre 2019 1 25 /11 /novembre /2019 22:13

Avec "la Vita Nuova", Romeo Castellucci propose un fascinant ballet en forme de cérémonial, ou cinq hommes, par leurs gestes, leurs mouvements, réinventent un monde.

 

     Photo : Verlee Vercauteren

 

 

La Vita Nuova

 

Spectacle de Romeo castellucci

 

Texte de Claudia Castellucci

 

Avec Sedrick Amisi Matala, Abdoulay Djire, Siegfried Eyidi Dikongo, Olivier Kalambayi Mutshita, Mbaye Thiongane

 

 

 Entrer à la Villette pour assister à une représentation de « La Vita Nuova » est déjà un gage de basculement dans une autre dimension, indépendamment de toute imprégnation dramatique. Une salle transformée en garage, pour les spectateur.trice.s le seul confort possible sont des marches sur lesquelles s'asseoir. Et, surtout, devant soi, alors qu'une fumée légère a déjà envahi l'espace, la vision impressionnante d'une trentaine de voitures alignées les unes contre les autres, toutes recouvertes d'un drap blanc. Sensation de se trouver face à une image crépusculaire, sans pour autant être morbide. Plutôt une scène évocatrice de l'univers d'un Christo : emballer l'objet n'a rien de mortifère (ce n'est pas un linceul), mais au contraire l'acte vise à le désapproprier de sa fonction première pour l'embarquer vers d'autres usages. Un garage avec des voitures, certes, mais pour qu'elles soient en quelque sorte « désaffectées » de leur fonction première.

 

 De cette blancheur vaporeuse où le solide des voitures contraste avec les effets de brune, une forme surgit, lentement, comme si on entrait déjà dans une sorte de procession. Un comédien noir, revêtu d'une grande robe blanche. Autre contraste saisissant, entre une présence dont le corps tend à disparaître sous un long vêtement, mais dont la taille affirme la réalité corporelle. Dans un déplacement lent, moins fantomatique que précautionneux, il transporte un objet du toit d'une voiture vers une autre, se change, avant d'être rejoint par cinq autres compères, également parés de blanc.

 

 Si Castellucci avoue son peu d'amour du rituel, le spectateur lui, ne peut s'empêcher de s'y référer. Car comment nommer ces gestes consistant à se saisir d'une branche d'arbre doré pour le faire littéralement dialoguer avec un cerceau (qui est tout autant couronne) ? Castellucci s'applique en tout cas à en détourner les usages : la branche est donnée à une spectatrice qui va la conserver pendant toute la personnage, comme pour lui ôter toute caractère sacré. La couronne sera elle aussi donnée à un.e autre. Les comédiens, exécutant d'impeccables gestes chorégraphiques des bras, synchronisés, se révèlent plus danseurs que prêtres, même si l'un d'eux fait quelque peu figure d'officiant. Ils portent tous des chaussures de femmes, à talons, et cette incongruité contribue pleinement à rendre « La Vita Nuova » énigmatique.

 

 Et puis il y a ces voitures : l'une d'elle est renversée, retournée. A chaque fois y apparaissent des objets inattendus : une sculpture de tête romaine, une tête de mort, puis des oranges. Si l'image de la voiture renversée ne peut manquer d'évoquer des scènes de révolte sociale, « La Vita Nuova » s'inscrit trop dans un arrachement au réalisme pour être rattachée à de quelconques évènements spécifiques. La force du spectacle repose entièrement sur cette difficulté à y apposer un sens, tant le cérémonial, dans sa lenteur, dans son silence juste traversé par un fascinant dispositif sonore, invite au à une réception silencieuse.

 

 Quand, à environ dix minutes de la fin de la performance (qui en dure une cinquantaine), la parole advient, par l'intermédiaire d'un seul comédien, il y a de quoi être surpris. Un certain nombre de thèmes sont abordés, s'ouvrant sur une véritable incantation autour de l'absence de liberté (« tu ne seras pas libre » en est le leitmotiv). ; une opposition entre l'artisanat et l'artiste, le premier se trouvant valorisé, un passage que l'on pourrait qualifier de féministe lié justement à cette question de l'artisan. Déroutant car le spectacle, silencieux, mais bruissant de sons, avait jusqu'ici une grande puissance de fascination. En s'appuyant sur le texte de Claudia Castellucci, le metteur en scène opère en quelque sorte un retour au réel (il a conçu ce spectacle après avoir été fasciné par l'artisanat africain). Et lorsqu'à la fin, un moteur de voiture s'allume, les phares s'éclairant, c'est cet accès au réel qui est valorisé, la mécanique renvoyant à un fonctionnement qui devient preuve d'une matérialité vivante. Dès lors, cette « vita nuova » (vie nouvelle) peut commencer, orchestré par ces hommes, ouvreurs d'horizons.

 

A La Villette, du 19 au 24 novembre

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