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30 novembre 2021 2 30 /11 /novembre /2021 17:59

 Derrière son aura de délicatesse liée à la présence d'enfants,  « À l'approche de l'automne », de Mikio Naruse, plonge ses personnages dans un Tokyo où se cristallisent les tensions entre la tradition et la modernité.

 

 

 

À l'approche de l'automne

 

Film de Mikio Naruse (1960)

 

Avec Nobuko Otowa, Kenzaburo Osawa, Kamatari Fujiwara, Natsuko Kahara, Yosuke Natsuki, Hisako Hara, Futaba Hitotsuji

 

 

 On aurait à priori tendance à penser que Naruse, en mettant en scène des enfants dans « À l'approche de l'automne » (rare dans sa filmographie) allait présenter un film plus léger, dont l'intrigue serait portée par le regard teinté d'innocence d'enfants. Et, surtout, en comparant le film avec « Derniers chrysanthèmes » , sorti en même temps, le mettre poliment en retrait.

 

 Pourtant si, dès l'abord, « À l'approche de l'automne » laisse une impression de fraicheur, matinée d'un humour tendre, force est de constater, à mesure que se déploie son histoire, qu'il est habité par une profondeur plus grande. Le public a au fond un certain retard sur la gravité qui s'y noue progressivement, car la violence du réel qui s'y diffuse subrepticement prend une coloration tamisée. Car dès le départ, que Shigeko amène son fils chez son oncle et sa tante pour aller travailler dans un salon témoigne d'un acte accompli contre son gré. On perçoit très vite la déception du garçon de ne pouvoir conserver l'amour de sa mère, lui qui, en quittant la campagne pour aller dans la grande ville moderne qu'est Tokyo, est très vite renvoyé à son côté "péquenot" par des camarades indélicats (cette différence, d'abord linguistique, est d'ailleurs bien suggéré par les sous-titres).

 

 Quand le film, avec la force discrète qui caractérise le cinéma de Naruse, acte la disparition de la mère, partie avec un client de la maison de plaisir où elle travaille, la violence de l'abandon éclate soudainement. C'est là que le cinéaste, en circonscrivant les scènes autour de l'amitié entre Hideo et Junko, la fille de la responsable de la maison de plaisir, crée un monde à part, où percent les aspirations les plus fortes des enfants (Junko aimerait notamment que Junko devienne son frère, jusqu'a demander à sa mère de le prendre avec elles).

 

 Si cette partie concentrée autour des enfants se révèle passionnante, c'est en réalité par l'incroyable force de caractère émanant d'Hideo. La petite fille, totalement décomplexée, tient tête à sa mère, au point de donner l'impression d'en obtenir ce qu'elle veut. La façon qu'elle a de conduire Hideo là où il aimerait aller (voir la mer, en particulier) témoigne d'une attitude directrice, comme si à leur manque respective, un surcroit de volonté d'accomplissement se substituait. Il y a par exemple cette scène où elle demande à un chauffeur de les conduire à la périphérie de la ville en précisant que c'est sa mère qui le paiera au retour. Si le personnage de Junko est si émouvant, c'est aussi par une dimension tragique qui la fait prendre littéralement la place de sa mère dans sa capacité à agir.

 

 Car l'autre force de « À l'approche de l'automne », c'est de documenter sur le rôle des femmes dans un Japon où les comportements déviants sont épiés et condamnés. Quand la mère de Hideo (de même que l'effrontée Harue, cousine de Hideo, tient tête à son père) s'enfuie avec un client, accomplissant de manière scandaleuse son émancipation en abandonnant son enfant, la position de Naoyo, mère de Junko, offre un portrait inverse, marquant la persistance de traditions féodales. Le mari de celle-ci a deux épouses, et l'acceptation de cette situation par Naoyo trahit littéralement un statut d'infériorité. Il faut voir cette séquence étonnante où le mari arrive avec ses deux enfants issus de son autre union pour comprendre la situation d'aliénation dans laquelle se trouve Naoyo. Cela rend, à postériori d'autant plus compréhensible la débrouillardise de Junko qui, en quelque sorte, supplée à la faiblesse de sa mère dans son engagement existentiel.

 

 Une autre richesse de « À l'approche de l'automne » tient à sa représentation de Tokyo, en offrant des palettes diversifiées des gens qui y résident. C'est un Tokyo à la fois populaire, représenté par l'oncle et la tante de Hideo (Kamatari Fujiwara et Natsuko Kahara sont formidables par leur interprétation au réalisme rugueux) et moderne qui se côtoient. Monde d'en haut symbolisés par les gratte-ciel, le rêve d'ascension porté par les deux enfants, contre un univers d'en bas, aux accents ruraux qu'incarnent l'oncle et la tante, contre lequel s'oppose avec fougue Harue. L'échappée du garçon avec Junko, dans une longue séquence sur un terrain vague traduit la représentation d'une ville comme espace de conquête (réaliser son rêve de voir la mer pour Hideo), même s'il peut-être tentaculaire au point qu'une mère s'y évapore. Loin de l'espace défini chez Ozu (perçu comme une transition entre l'intérieur et l'extérieur), le Tokyo de « À l'approche de l'automne » embarque les personnages dans un monde en constante transformation, semé de rêve et d'amertume.

 

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