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2 janvier 2022 7 02 /01 /janvier /2022 18:19

Fortement teinté d'éléments autobiographiques, "White building", du cinéaste cambodgien Kavich Neang, relate la vie de personnages face à l'inéluctable transformation de la ville de Phnom Penh. Avec sensibilité et délicatesse.

 

White Building

Film de Kavich Neang

 

Avec Piseth Chhun, Sithan Hout, Sokha Uk


 

 Le sublime plan d'ouverture de « White Building », mouvement de caméra filmant un ensemble de bâtiments par le-dessus, comme s'il était pris par un drone, inscrit le parcours du film dans une dimension paradoxale : à la fois vision sanctuarisant un lieu, comme la saisie peut représenter un état des lieux, avant disparition. Cibler l'endroit à effacer - le drone, désormais, s'il renvoie à l'image récréative insolite recherché par tout un chacun, trahit désormais, sur un mode guerrier, l'empreinte mortifère de repérages avant destruction. Cette séquence inaugurale, magnifiée esthétiquement, trouve son contrepoint plus loin dans le film, vers la fin, où l'on voit effectivement la barre d'immeubles, jadis repère communautaire d'artistes, impitoyablement détruit par une machine dont le bec perforateur devient la métaphore d'un oiseau annonciateur de mort.


 

 Tout dans ce plan d'ouverture cristallise la démarche de Kavich Neang, cinéaste jusqu'alors réalisateur de documentaire, et qui s'est attaché à rendre le pouls d'un endroit où il a vécu. C'est à travers la figure de Samnang, auquel il a insufflé quelques uns de ses traits biographiques, que l'on suit le changement d'une ville comme Phnom Penh, désormais prise dans une spéculation immobilière galopante, au mépris de toute considération écologique. Et si le cinéaste chinois Jia Zhang Ke apparaît dans le générique comme l'un des producteurs du film, on a tout de suite envie de penser que ce n'est pas un hasard tant « Still life » l'un de ses plus grands films, relatait également la disparition d'une ville pour y faire place au barrage des Trois-Gorges.


 

 Devant un thème si contemporain, induisant une réelle violence pour les personnes qui y sont confrontées, « White building » étonne, dans son premier mouvement par un ton apaisé, une douce palpitation humaine liés à la façon dont Kavich Neang retrace les espoirs de trois jeunes hommes férus de danse hip-hop. Du côté adulte, si les compensations financières proposées aux habitants passent par des doutes, des réunions visant à mesurer le poids de ces aides, le fonctionnement communautaire installe au départ un climat relativement consensuel, jusqu'à son effritement progressif. L'éviction du père de Samnang devient le point d'orgue de ce basculement.


 

 Mais le véritable tournant esthétique, humain, psychologique produit dans « White building », se manifeste au moment où le trio, jusqu'ici très soudé, se fissure par l'annonce du départ de l'un d'entre eux. La rupture, loin d'être représenté comme une déflagration, est traduite par une caméra qui opère un mouvement lent, d'un visage à l'autre, dans un silence pesant. Une suspension du tout qui abolit tous les rêves, comme pour ramener les jeunes hommes à une réalité qui, désormais va se révéler sous son angle le plus déceptif.


 

 Pour Samnang, ce départ va être l'occasion de se rapprocher de son père, en lui prêtant une attention qui, pour un jeune homme moderne tournée vers l'immédiat, se révèle paradoxale. Quand le père, diabétique, découvre qu'une de ses orteils s'infecte (mal qu'il souhaite soigner par des remèdes traditionnels), c'est l'écart entre deux mondes qui se manifeste. Pour autant, il n'y a pas à proprement parler de conflits de génération entre jeune et vieux. En filmant la relation entre Samnang et son père, inspirée de sa propre vie, Kavich Neang la restitue avec une douceur bienveillante. La beauté du film tient déjà à cette capacité à placer ses personnages dans l'inexorable avancée qui absorbe les désirs des un.e.s et des autres, sans que cela ne se révèle explosif.


 

 S'il y a une violence sous-jacente dans « White building », elle s'opère d'une manière quasi-métaphorique, décalée, en ce qu'elle renvoie, à travers la figure du père, à l'histoire douloureuse du Cambodge. C'est ainsi que le mal qui le ronge, à l'issue inexorable, ne peut manquer d'évoquer les nombreuse mines qui ont parsemé le pays entant de guerre, et qui ont laissé bon nombre d'habitants estropiés. De même, la question du retour (quitter la ville avec l'argent) ne peut manquer de rappeler, sous l’ère sanglante des Khmers rouges, la situation de Phnom Penh vidée de ses habitants le 17 avril 1975, pour que ceux-ci retournent travailler la terre. La démarche de Kavich Neang, si elle ne renvoie pas directement à ces événements tragiques, laisse percer sur un mode mineur, tamisé, ce battement entre appartenance à la ville, symbole de modernité, et retour à une terre où s'exercent des rites traditionnels. Avec une approche d'une grande délicatesse, « White building » témoigne de cette tension, sans affirmation ni dogme, en donnant ainsi à ses personnages tout l'espace pour exprimer leur sentiments feutrés.

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