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4 février 2023 6 04 /02 /février /2023 18:58

 Dans ce nouvel opus, le virtuose du flamenco, Israel Galván, toujours en quête d'un dépassement de son art, dialogue avec la voix vertigineuse de Niño de Elche. Détonnant.

 

 

 

Mellizo doble

 

Conception, direction artistique, chorégraphie et danse de Israel Galván

Conception, direction artistique et musique de Niño de Elche

 

 

 Dans le champ de la création artistique, Israel Galván continue à occuper une place singulière. Les habitué.e.s, toujours en quête des nouvelles expérimentations du danseur de flamenco, ne manqueraient en rien ses créations. D'autres, découvrant son univers, courent le risque d'être déroutés. Mais, à chaque fois, on ne peut manquer d'être intrigué par une approche finalement peu commune parmi les chorégraphes, qui plus est ceux et celles évoluant dans un champ extrêmement codifié.

 

 Car Israel Galvan, dont le génie artistique n'est plus à prouver, ne cesse de remettre sur le tapis sa technique de flamenco, en la portant vers des strates où, de plus en plus, viennent s'agréger des comportements déviants. Fondée sur une déconstruction permanente, cette démarche n'est pas sans évoquer, sur un mode psychanalytique, un rapport de distanciation avec son propre objet d'épanouissement. Dans cette entreprise analytique où il est à la fois sujet (créateur) et objet (celui sur lequel il expérimente) Galván semble vouloir nous dire qu’un créateur ne peut se cantonner dans une pure jouissance créatrice.

 

 Il faut évidemment une certaine maîtrise pour ne pas arriver, dans ce processus de subversion de son propre objet créatif, à une destruction pure et simple, où le public finirait aussi par se perdre. Aussi, Galván inscrit sa danse dans un format proche du cérémoniel. On aurait envie de croire que les petits tas dispersés dans la salle, sur lesquels le danseur frotte la pointe de ses pieds, sont simplement un outil destiné à polir ses chaussures. Mais dans sa façon d'aller dans les coins, en trouvant une respiration à son déchaînement chorégraphique, Galván semble baliser un espace comme pour tisser des fils à partir desquels il peut se projeter dans sa danse effrénée.

 

 Entrer dans cet univers, en tant que collaborateur, n'est pas chose aisée, et pourtant Niño El Elche, avec qui Israel Galvan a déjà collaboré dans « La fiesta » paraît l'interlocuteur tout trouvé pour suivre les méandres fantastiques du danseur dans "Mellizo doble". La guitare qui traîne sur son socle, verticalement, à l'arrière-plan, pendant la quasi totalité du spectacle, exprime au fond l'abandon d'une forme classique constituée d'un chanteur accompagnant un danseur. El Elche dans ses expérimentations vocales foisonnantes, opère un contrepoint saisissant aux frappes de pieds de Galván, à ses cris (signes d'extériorisation primal). Sa façon d'étirer le son le porte vers des sources dignes de la musique atonale, alors que certaines circonvolutions mélodiques ouvrent sur de la musique orientale. Une panoplie vocale insensée, tour à tour opératique, parfois hoquetante, en tout cas emportant le chant vers des possibilités d'exténuation vertigineuse. Deux individualités fortes qui, lorsqu'on s'y attend le moins, finissent par se rejoindre dans une frappe des mains, un cri, une phase percussive.

 

 Il se peut que le moment le plus étonnant de « Mellizo doble » soit celui où, pendant une bonne dizaine de minutes, on ne voit... rien. Dans l'obscurité, on entend Galván piétine un bac rempli de sable noir, et le son de cet acte, amplifié, dessine un paysage auditif que le danseur exploite à foison. Triturer le son, le porter à un point d'exacerbation extrême (jusqu'aux frappes des pieds sur des lattes en bois) marque cette tendance à faire du corps, chez Galván, un pur instrument, en le faisant déborder de ses capacités physiques. Avec ce long moment de piétinement, on ne peut s'empêcher ici d'y voir une forme de rapport infantile aux éléments. Tout comme dans «El Final de este estado de cosas, Redux », Galván se confrontait à un cercueil, telle une métaphore d'une forme à dépasser, ici, le piétinement, geste enfantin par excellence, renvoie à une conduite où, malgré l'incomparable accomplissement de cet artiste, son devenir s'attelle encore et toujours à une interrogation sur son origine. En une modestie frémissante et joyeuse. 

 

À l'Espace Cardin, du 1 au 9 février

 

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