Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
30 janvier 2023 1 30 /01 /janvier /2023 16:49

 Dans un geste documentaire singulier, où il privilégie le spontanéité du tournage, Kazuhiro Soda suit au plus près un psychiatre humaniste à l'approche peu orthodoxe.

 

 

 

Professeur Yamamoto part à la retraite

 

Film de Kazuhiro Soda

 

Avec Masatomo et Yoshiko Yamamoto.

 

 

 « Personne n'est à la hauteur d'un patient ». C'est en ces termes surprenants que le professeur Yamamoto, pionnier de la psychiatrie au Japon, résume sa démarche devant la caméra du documentariste Kazuhiro Soda. Si le film surprend, derrière sa simplicité liée à une approche humaniste, c'est bien en raison de cette proximité entre le cinéaste et le psychiatre. Approche inconcevable sous nos latitudes et qui, malgré les 10 commandements auxquels s'astreint Soda – en vue de privilégier la plus grande spontanéité – embarque le public dans une démarche où prime l'immersion du cinéaste. Si « Professeur Yamamoto part à la retraite » touche tant, c'est moins par son approche sensible que par la volonté de Kazuhiro Soda de nous plonger dans un espace documentaire qui s'écarte d'un balisage attendu (histoire, continuité, dévoilement).

 

 Son film est au fond une grande œuvre sur le temps : prendre ses personnages non pas à la crête d'une évolution, mais dans le moment d'une décroissance fictionnelle. Les deux heures du film ne font qu'opérer une approche quasiment à l'envers, où ce qui est offert au regard ne comporte ni acmé, ni tension maximale, mais désamorçage. C'est dans cette « descente » émotionnelle que le meilleur est livré : la tournée, en quelque sorte, du psychiatre rencontrant la plupart de ses patient.e.s avant de les caser. Toute la force de ses face à face tient à la faculté de Soda de nous faire sentir en quelques minutes la longue relation de Yamamoto avec ses patient.e.s (parfois pendant vingt ans). L'immédiateté de la parole, marqué par ce frémissement lié à la crainte de la perte d'un guide, ouvre un pan entier de l'histoire de ces personnes par rapport auxquelles Yamamoto affiche son humilité (il les remercie comme si c'était lui qui avait été aidé).

 

 Dans ce partage humain sidérant où les rapports sont nivelés jusqu'à révéler une dimension sacrificielle (Yamamoto invitait ses patients chez lui), une figure émerge petit à petit : Yoshiko, la femme du psychiatre. Et c'est sans doute en cela que se vérifie la force de la démarche de Soda (ne pas créer de centre dramaturgique à son film) : d'abord apparaissant dans certains plans, comme en bordure de l'histoire, elle peine quasiment à habiter l'espace (voir la scène étonnante où elle n'arrive pas à ouvrir une porte : c'est Soda, l'invité, qui l'aide). Et ce n'est que petit à petit qu'en prenant place plus souvent auprès de son mari dans le plan que les contours d'abord impressionnistes de son personnage se dessinent, au point que Soda ouvre le champ en inscrivant des séquences anciennes filmées en noir et blanc, qui donnent une profondeur historique à cette femme, jadis première de la classe, maintenant vouée à une dégradation physique et psychique inexorable.

 

 C'est au comble de cette histoire qui se creuse d'une perspective historique – manière pour Soda de lui rendre hommage – que la question de sa disparition devient prégnante. Un contraste saisissant se crée lors d'une séquence hallucinante où une ancienne amie, véritable pile électrique, tenant la main de Yoshiko, évoque avec moult détails leurs années fastes. Cette précipitation de souvenirs, rendus pathétiques par la position ô combien altérée de Yoshiko, opère comme un récit funeste en accéléré, comme si les trous de narration que Soda ne veut pas combler – soucieux qu'il est de saisir le réel comme il vient -, c'est cette femme qui s'en chargeait ; comme si, dans un désir de s’attribuer un rôle dans le documentaire de Soda, elle s'appliquait à faire son propre montage, sans se soucier de la portée de son témoignage devant Yamamoto, réduit tout à coup à un rôle passif. C'est la force du film que d'installer ce moment immaîtrisable, déluge ininterrompu venant briser un temps son précieux terrain non balisé.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Blog De Jumarie Georges

  • : Attractions Visuelles
  • : Cinéma, théâtre, danse contemporaine, musique du monde, voyages
  • Contact

Recherche