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16 mars 2023 4 16 /03 /mars /2023 17:05

 Le Théâtre du Soleil d'Ariane Mnouchkine offre une belle occasion d'admirer deux formes anciennes et fort différentes : le Nô, méditatif et contemplatif, et le kyogen, loufoque et enlevé.

 

Nô et Kyogen

En hommage à nos maîtres et à nos sources

 

Le Théâtre du Soleil accueille 22 artistes des écoles Kita et Izumi - Kinué Oshima et sa famille, Tadashi Ogasawara et son fils Hiroaki

 

 

 Dans le champ artistique traditionnel, le théâtre Nô continue de frapper par son irréductible singularité. Mêlant des éléments de rituels anciens avec une forme théâtrale, elle étonne à la fois par son austérité toute aristocratique, son économie de gestes, une musique qui, pour être quasi omniprésente, n'en est pas moins – du moins sur le plan instrumental – réduite à quelques notes espacées. Cette sécheresse stylistique se combine pourtant à une dimension quasi primitive, représentée par ces étonnantes vocalisations, plus proches d'éructations que du chant. On croit y voir une parenté avec le théâtre balinais ou javanais, quand un chanteur prenant en charge les mots des personnages, les expriment avec une exacerbation confinant à la bouffonnerie, tant la voix excède le réalisme. Par sa tenue, sa rigidité, le Nô doit sans doute sa survie, sa capacité à traverser les ages à cette improbable friction avec des formes singulières, tant son caractère épuré (des mouvements concentrés sur les déplacements des pieds, des frappes de percussions réduites) se confronte avec des styles différents, en particulier le kyogen.

 

 Dans le premier programme (A), la présence de ce style, envers du Nô, surprend agréablement, tant il a rarement été donné à Paris de voir cette forme dans une durée aussi longue. Considéré comme un intermède du Nô, comparé à la commedia dell'arte, le kyogen lui est contemporain, et c'est certainement le plus surprenant que de voir ces deux formes se côtoyer, comme si une dimension profane, populaire, se mêlait à un style noble. Car dans l'épisode intitulé « Un hakama pour deux », ce qui frappe c'est bien une sorte de renversement de tout ce qui est de l'ordre de la bienséance, moteur des relations entre les japonais. À partir d'un comique de répétition, les personnages en deviennent ridicules, à force de chercher à se couler dans une posture à l'écart des convenances. Découper un hakama (pantalon large) pour le porter à deux devient ainsi la métaphore désopilante de cet ordre qu'on ne cesse, dans un geste carnavalesque, de renverser.

 

 Avec « Sumidagawa «  (La rivière Sumida), écrit par le petit fils de Zeami, grand auteur de Nô, campant l'histoire d'une femme partant à la recherche de son fils enlevé par des voleurs d'enfant, on atteint à une sorte de quintessence de l'intériorité dramatique. Le plus frappant reste sans doute qu'à partir d'un temps étiré (la femme a parcouru des centaines de kilomètres avant d'embarquer pour la dernière traversée de la rivière), c'est l'impression d'une suspension qui domine, en raison de la lenteur des mouvements du Nô. C'est ainsi que, lors de la traversée de la rivière, alors que le passeur raconte l'épisode tragique s'étant déroulé un an plus tôt, c'est la réalité d'un temps immédiat qui s'impose, fondée sur une unité de temps. La durée de la traversée se confond avec le récit, resserrant son caractère tragique. Tout semble se dérouler sous nos yeux, et les scansions rythmiques, aussi espacés qu'intenses, deviennent haletants. Et quand le fantôme de l'enfant apparaît, dans toute sa flamboyance silencieuse, le raffinement du Nô, où l'excès est banni au profit d'une force évocatrice, prend alors tout son sens. Dans cette apparition inattendue, ce ne sont pas tant les signes tangibles qui comptent, mais bien l'interstice, l'espace entre les signes, comme le silence entre les sons, qui prennent tout leur sens.

 

Au Théâtre du Soleil, du 15 au 19 mars

 

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