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25 février 2023 6 25 /02 /février /2023 21:24

 "La romancière, le film et le heureux hasard", nouveau jalon du cinéaste sud-coréen Hong Sang-soo, distille avec toujours autant de grâce des figures prises entre déambulations et salves autoréférentielles.

 

La romancière, le film et le heureux hasard


Film de Hong Sang-soo


Avec Lee Hye-young, Kim Min-hee, Cho Yun-hee, Kwon Hae-hyo, Seo Young-hwa


 

 On se surprendrait presque à trouver « La romancière, le film et le heureux hasard » moins grave que « Juste vos yeux », le précédent opus de Hong Sang-soo, tant, dans ses derniers films, une gravité sourde, liée au thème de la mort, s'imposait de plus en plus. C'est à peine si, ici, boire jusqu'à plus soif déclenche une levée des inhibitions au point d'engendrer des moments d'explosion de conflits. Les bouteilles d'alcool ont beau débordé encore et toujours, elles sont déjà bien entamé lorsque la caméra de Hong s'attarde sur eux.


 « La romancière, le film et le heureux hasard » s'apparente ainsi à une flânerie, au sens où, comme dans « Juste sous vos yeux », l'intrigue se déroule en une journée, ou en quelques heures. Action tellement circonscrite qu'elle en devient circulaire, lorsque la romancière Jun-hee retrouve, en compagnie de l'actrice Kilsoo, l'amie qu'elle est allée rencontrer au début du film.


 Si le film de Hong Sang-soo semble tant répondre à « Juste sous vos yeux », c'est en désamorçant tout ce qui, dans le précédent, lorgnait vers une tension dramatique éprouvée. Ici, la rencontre initiale entre Jun-hee et son amie, même si elle se fait sous les mêmes auspices (la romancière insistant pour savoir pourquoi son amie ne donnait pas de nouvelles), ne constitue en rien le moteur de la fiction. Et quand Jun-hee revient avec Kilsoo à la librairie, l'amie, dans le plan, occupe une place décalée, bien moindre que les autres occupants, poète, assistante, et Kilsoo. Rare dans le cinéma de Hong, cette séquence à plusieurs, au lieu d'ouvrir sur de la dérive, culmine dans un délicieux échange entre Jun-hee et l'assistante, qui lui apprend quelques phrases en langage des signes. Beau moment fonctionnant comme une métaphore sur l'inanité de la parole, pour un film regorgeant de dialogues.


 Si tension il y a, elle se produit dans un écrin où les personnages, se rencontrant tour à tour, avouent leur admiration les un.e.s aux autres, de réalisateur à écrivaine, d'actrice à romancière. Ce respect virant parfois au culte en vient à tamiser quelque peu les reproches que Jun-hee adresse au réalisateur, après que celui-ci ait trouvé dommage que Kilsoo ne tournait pas. Dans cet échange tendu, c'est le réalisateur qui, pour calmer Jun-hee, adopte un retrait souriant, étant presque désolé de ses remarques.

 

 Cette circularité incessante des compliments, des admirations, confère au film de Hong Sang-soo une allure d'auto-dérision, tant ce qui fonde son cinéma depuis longtemps (une figure éminente, cinéaste ou écrivaine, même sur le déclin, est reconnue par d'autres) se précipite ici dans une fiction reposant quasiment sur une unité de temps et d'action. Que le cinéaste face de plus en plus appel à des personnages dont l'age lui est proche, avec la mort en arrière-plan, où de femmes écrivaines, en dit long sur l'inexorable tournure de son univers où le temps qui passe acquiert une aura tragico-nostalgique.


 Mais si « La romancière, le film et le heureux hasard » dépasse tout cadre auto-référentiel, c'est que son repli formel (temps, lieu, action) ouvre sur un vertige existentiel, où toutes les interactions entre les personnages finissent par renvoyer à la biographie du cinéaste. Forcément cryptée, elle n'empêche pas de déceler des signes, telle une redistribution de la figure du cinéaste à travers tous et toutes, le point d'orgue étant celle de Ki Min-hee, pourtant un personnage secondaire dans le film, mais dont la place qu'elle prend petit à petit – pour revenir à une tournure référentielle – finit par justifier à elle seule l'existence du film. Rarement on a vu l'actrice chez Hong Sang-soo dans une position à la fois aussi légère, décontractée, à l'écart de toute nécessité dramatique, pour finalement, dans un geste final lumineux, en couleurs, révéler toute l'attention que le cinéaste porte sur sa compagne.

 

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